Mon cher Victor,
Jeudi matin, 10 h. Après avoir écrit au brouillon les règles de vie pour la classe (oui, je sais, je m'y prends très très taaaaard !), nous votons à bulletin secret. Les gosses sont
bien évidemment ravis d'imiter les adultes et ils votent pour leur règle de vie préférée parmi celles notées au tableau, sur un petit bout de papier plié et replié. Leïla, CE2, dépouille ces
bulletins. Comme elle bute sur les mots, je lis par-dessus son épaule. J'y lis ceci :
"Respecter la très gentille maîtresse.", alors que la règle proposée au tableau ne comportait pas, bien sûr, l'adjectif "gentille". Et en dessous, la signature : "Clotilde".
J'ai envie de rire. Et de rougir de plaisir. A la place, je me contente de jeter un bref coup d'oeil à la Clotilde en question, qui gigote sur sa chaise et murmure tout un tas de secrets à
la petite Aurore, sans doute des choses du genre : "C'est moi qui ai écrit ça pour la maîîîîîtresse !!!". Ah je te jure... Enfin bon. J'ai gardé mon
sérieux et fait comme si je n'avais remarqué la signature. Sans pour autant me priver du plaisir de dire : "Je ne sais pas qui a écrit ça mais je trouve que c'est une très bonne règle
!", ce qui n'a pas manqué de faire rire les gamins. Bref. Le dépouillement continue et j'oublie la signature.
C'était sans compter, bien sûr, sur l'entêtement des gosses. Au moment de se mettre en rang devant la porte pour aller en récréation, je vois Clotilde se tortiller, me lancer de grandes
oeillades, de grands sourires, genre maîtresse-je-veux-te-dire-un-truc. Finalement, au moment de passer la porte, alors que je les accompagne sur le seuil, elle n'y tient plus
:
"Eh, maîtresse... Tu sais quoi ? C'est moi qui as écrit "Respecter la très gentille maîtresse" tout à l'heure !". J'ai souri. En préférant ne pas relever le "c'est moi qui as
écrit", qui aurait sans aucun doute cassé son enthousiasme. J'ai bien fait ? Oui, je crois. Et puis j'ai lu quelque part qu'il n'était pas bon de relever toutes
les erreurs des enfants...