Magazine Journal intime

Paquebot "Antilles"

Publié le 12 août 2009 par Araucaria

Le paquebot Antilles après le rehaussement de sa cheminée en 1956.
Photo trouvée sur le net.
Le 7 janvier 1971, Antilles, paquebot de la Compagnie générale transatlantique, fait route vers l'archipel des Grenadines. C'est l'hiver en Europe, la douceur des alizés dans la Caraïbe. A la vitesse de vingt noeuds, le commandant espère atteindre, pour le coucher du soleil, la pointe nord de l'île de Saint-Vincent.
Antilles, sa coque blanche, sa poupe arrondie, sa cheminée rouge et noir, légèrement inclinée vers l'arrière, son allure mélancolique inséparable de toute noblesse maritime.
A bord, deux cent quatre-vingt-cinq passagers croisent entre la Gayra et la Barbade. (...) Le commandant fait réduire la vitesse à seize noeuds. Ils peuvent ainsi admirer la découpe de l'île Moustique. (...)
Du pont, les passagers devinent les maisons de style colonial et pourraient presque toucher les palmiers des plages. Ils voient aussi les habitants leur adresser des signes de la main. Ils y répondent par de chaleureux mouvements de bras. La mer est bleu gouache.
Après avoir longé l'île par l'est, Antilles vire de bord et s'engage dans une passe entre les rochers Single Rock et Double Rock. (...)
A 16 h 18, une vibration sourde puis une seconde parcourent Antilles des cales jusqu'au mât de pavillon. Les passagers et l'équipage ont ressenti ce tressaillement de la coque. La mer dans son épais silence a tremblé. Le long corps de cent quatre-vingts mètres d'Antilles se fige.
A la passerelle, les alarmes sonnent les unes après les autres. Une voie d'eau s'est ouverte dans la chaufferie. (...)
A bord d'Antilles, au large de Moustique, l'incendie se propage des chaudières jusqu'aux ponts supérieurs. (...) Le commandant décide l'évacuation des passagers. Il reste à bord avec une équipe de sécurité. La nuit tombe...
(...)
Des fumées s'élèvent d'Antilles. Les sabords éclatent sous la chaleur. Le bateau est encore éclairé. Les grandes lettres lumineuses se détachent dans la nuit tropicale. Avec ses derniers hommes restés à bord, le commandant lutte contre l'incendie. Bientôt, les lances ne crachent plus que de la vapeur.
Le commandant appelle mon père une dernière fois sur un poste de secours : "J'abandonne le navire." Les lumières s'éteignent. Le feu boursoufle la coque blanche. Antilles est un bûcher.
(...)
Antilles se transforme en épave. Elle émerge comme une tumeur sur une peau trop bronzée. (...) La coque est déformée. Les garants des chaloupes pendent lamentablement dans l'eau comme des filins enserrant un cachalot harponné. La coupée est à la verticale du bateau. Une embarcation servant à la promenade des passagers est restée suspendue contre le flanc bâbord : l'équipage a dû rater sa mise à l'eau lors de l'évacuation. La cheminée s'est enfoncée dans la salle à manger des première classe. La poupe du bateau est sortie de l'eau. Une main puissante l'a poussée hors des flots. Antilles repose sur un récif de corail. (...)
Antilles est coincé entre deux molaires. Single Rock et Double Rock. Vu de la proue, sous un angle large, il semble happé par une mâchoire. Désossé, il sera vendu à un ferrailleur vénézuélien.
Le commandant est jugé par ses pairs au Havre. (...) Il avait choisi sa route après avoir consulté les cartes. Aucun écueil signalé. Il s'était engagé. (...)
Le commandant d'Antilles est acquitté par le tribunal maritime. On loue le sang-froid qu'il a montré pendant l'évacuation. Seules les cartes marines sont mises en cause : "Commandant, conclut le commissaire du gouvernement, vous avez en perdant votre navire subi le pire des châtiments. Une peine quelconque n'aurait aucune mesure avec ce châtiment. Je demande donc l'acquittement." Le commandant reste dans la famille. Il ne commandera plus de paquebots. Il était écrit qu'Antilles devait mourir dans sa mer homonyme...
Olivier Frébourg - Un homme à la mer - Folio n° 4526 -

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