Je me suis trouvé un exutoire : l'écriture. J'ai couché sur papier ce que je n'arrivais pas à exprimer. J'ai noirci des pages et des pages de poèmes, de textes, totalement insipides. Je voulais me libérer de tous ces problèmes dont je n'arrivais pas à me sortir. Je ne voulais pas que mon père devine ma peine. Alors, je me soulageais en lacérant des cahiers entiers de mots rageurs. Ensuite, je suis tombée dans le punk. Comme on tombe malade, j'en ai connu tous les symptômes et je m'y suis enfermée. C'était devenu mon seul mode d'expression, de communication avec les autres. Ceux qui étaient tellement différents de moi de toute façon, ceux qui ne me comprendraient jamais. Chacun de mes sentiments, chaque pan de ma vie, trouvait écho au sein d'une chanson. J'ai allié mon attrait pour l'écriture et pour cette musique. Je vibrais en écoutant mes idoles, je criais mes maux, mes rêves et mes révoltes chaque soir dans ma salle de bain, baladeur à fond sur mes oreilles. J'étais une rock star, une punkette, pendant une heure, temps pendant lequel je m'y enfermais. Dès que la porte s'ouvrait, j'abandonnais guitare et batterie pour replonger au sein de mon quotidien.
Un jour, alors que je revenais de l'épicerie du quartier pour les quelques courses hebdomadaires, je découvris mon père installé sur une chaise dans notre salle à manger. Quand il me vit entrer dans la pièce, il me fit signe de m'asseoir près de lui. Il prit la parole et à mon grand étonnement, il ne semblait pas sous emprise. Je me rappelle encore chaque mot de la conversation qui a suivi. Son discours, entrecoupé de larmes, de sanglots et de tremblements, pouvait se résumer en un mot : "Pars". J'eus du mal à comprendre pour quelle raison il m'intimait un tel ordre. La discussion fut pénible, douloureuse pour lui comme pour moi. Il m'avoua qu'il se détestait de m'avoir imposé une telle vie et qu'il me fallait absolument prendre ma vie en main dès ce jour. Je ne pouvais rester à l'assumer, il s'en voudrait de me priver de l'avenir qui me tendait les bras. Je lui assurais qu'il n'était pas une charge et que, reconnaissante de tout ce qu'il avait fait pour moi, je lui rendais à présent la pareil, maintenant qu'il en avait besoin. Nous passâmes je ne sais combien d'heures, assis l'un en face de l'autre, à argumenter et contre argumenter. J'étais peinée, et émue. C'était la première fois depuis des mois que mon père pouvait ainsi s'exprimer, lucide, sobre, conscient. Au final de cette joute verbale, il eut raison de moi. Ses promesses, son assurance à ne plus vouloir se laisser aller et à s'en sortir me touchèrent. Je lisais son envie et sa volonté dans ses yeux. Je me laissais convaincre qu'il avait raison, et que je pouvais quitter notre foyer pour prendre mon destin en main. Le soir même, il m'aidait à boucler mes valises. Nous étions tout deux silencieux, cachant notre tristesse mais malgré tout, heureux pour l'un comme pour l'autre. J'étais fière de lui, il n'avait pas bu une goutte depuis que j'étais rentrée et je sais que cette abstinence devait beaucoup lui coûter. Le lendemain matin, il m'aida à poser mes bagages dans le coffre du taxi qui me conduisait à l'aéroport, et après nous être longuement serrés dans nos bras, je le vis devenir de plus en plus petit au fur et à mesure que le véhicule progressait. Il resta devant chez nous jusqu'au dernier moment. Et il disparut de ma vue.
Durant le trajet, je réfléchissais à ma vie. Je serais ce que j'avais toujours souhaité être : journaliste dans un prestigieux magazine de rock. Je passerais mes journées à écrire, courir les concerts, écouter trois tonnes d'albums à la recherche d'un nouveau talent à interviewer. Et, poussant, le cliché à son apogée, j'épouserais une rock star et vivrais une vie rock'n'roll. Cela allait de soi, non ?
J'atterris dans la capitale où vivait une de mes amies. J'ai cru qu'il me suffirait de poser mes valises chez elle pour que
cette ville m'offre des milliers de possibilités. J'ai vite déchanté.
La suite ? Mercredi prochain !