Il est 7h30, elle se tient en sous-vêtements devant la glace, l'air décidé. Elle fixe d'un oeil torve l'ennemi, la lippe tremblante mais le menton fier. L'adversaire est en ce moment
incarné par une masse de cheveux informe, à laquelle il va falloir donner apparence humaine sans tarder.
Séchés, démêlés, les cheveux sus-nommés se balancent presque dans le vent, l'air moqueur et insouciant de ceux qui
n'ignorent rien de leur pouvoir et qui se réjouissent de l'impuissance de ceux qu'ils dominent. Chaque jour, saison après saison, année après année, elle poursuit ce combat inexorable et parfois
vain. Autant imaginer Sysiphe heureux...
Elle a tout essayé, sauf peut-être de tremper sa tête dans de l'huile d'olive, et après des tests innombrables et
épuisants, seule cette solution s'avère la moins inefficace.
Elle prend une longue respiration et s'empare du fer. L'outil est de taille. Après des années de bons et loyaux
services, son dernier s'est éteint, la laissant un matin perdue et esseulée, lançant un cri vers le ciel devant tant d'injustice. Elle a donc décidé de s'équiper du meilleur, du plus
perfectionné, du plus développé des fers à lisser du marché. Il est rouge comme le sang de la victoire des justes, il souffle de longs jets de vapeur, s'active de ions négatifs, bref, à quelques
détails près... il ferait le café ! Inutile de préciser son prix, les choses vitales n'ont pas de prix ! Paie-t-on l'air qu'on respire ?
Le voyant vert s'allume, tel les drapeaux noir et blanc d'une course de Formule 1 se mettant en branle. Ca y est,
elle se lance. Elle attaque la première mèche, la plus terrible, celle de devant. Celle qui ne doit sous aucun prétexte se mettre à friser dans quelques heures, celle sur laquelle elle passera
mainte et mainte fois les plaques pour tenter de repousser frisottis et ondulations, au moins jusqu'au soir, au moins jusqu'à midi, au moins le temps d'arriver au travail !
L'ennemi se fait fourbe, il a gardé quelques traces d'humidité à la racine qui font fumer le fer et rendent tout
essai prompte à l'échec. Elle a une botte secrète pourtant : elle n'hésite pas à rebrancher le sèche cheveux et assigne de nouveau sa chevelure au terrible jugement des plaques. Il y a de la
résistance ! Elle s'essouffle presque, s'acharne pourtant avec une rage non dissimulée. Ca y est, elle attaque le deuxième côté, déjà presque épuisée mais sentant un deuxième souffle en elle. Les
boucles hurlent sous la torture et veulent laisser de leur passage une marque éternelle. Mais une seconde vague a raison de leur résistance.
Elle sent la victoire proche, ça y est, une dernière fois, l'épreuve finale de la brosse et l'ultime coup de fer
et ça y est, enfin, elle est coiffée, ses cheveux sont lisses et soyeux.
L'homme a passé la tête dans l'encadrement de la porte depuis cinq bonnes minutes et comme chaque matin, se
félicite de se lever une demie-heure plus tard parce que non, vraiment, elle ne serait jamais à l'heure pour partir au métro ensemble !