Freetown... Sierra Leone

Publié le 13 août 2009 par Araucaria

Liba Taylor/Panos Pictures - (Source Encarta)
"Le long des côtes du Sahara occidental, je lis - La dernière escale du tramp steamer - d'Alvaro Mutis. J'ai des hallucinations. (...)
J'ai l'impression de sortir des brumes de l'hiver. Les matinées sont belles. Des albatros mouchetés survolent le bateau. A l'approche de la Mauritanie, je me dis qu'il n'y a pas de roman sur le monde maritime international, retraçant l'écheveau du trafic, des lignes commerciales. Il existe seulement des récits de voyage, toujours romantiques. Il faudrait pourtant évoquer ces navires vieux de trente ans qui naviguent encore, les pavillons, les armateurs, les cimetières de bateaux, qui m'ont toujours fasciné.
Après Dakar, où nous faisons escale quelques heures, des faucons de mer nous survolent. L'air est poisseux. La mer morte. Rien ne la fait bouger. Nous sommes cernés par des méduses d'un brun très glauque. Nous nous enfonçons dans quelque chose. Est-ce l'humidité équatoriale? L'Afrique de l'Ouest?
Nous accostons de nuit à Freetown, capitale de la Sierra Leone. (...) De loin, on devine une montagne avec des points lumineux, très fragiles. "La baie de
Freetown est très belle", nous dit le commandant. Nous longeons une péninsule... (...)
Il n'y a pas vraiment de port de commerce à Freetown, seulement ce quai en eau profonde, le quai Queen Elizatbeth II. Malgré son nom, il n'accueille plus de paquebots. Juste derrière, un terrain de football abandonné, aux filets de but déchirés. A huit cents mètres, les premiers faubourgs de la ville. Des maisons pourries à la façade desquelles sèche du linge et une mosquée. Des fumerolles s'élèvent derrière des palissades. Aux deux extrémités du quai de la ferraille rouillée, entremêlée. Mais ce sont les montagnes ocre puis vertes en altitude parsemées d'habitations qui retiennent l'attention. Quand les orages roulaient dans ce paysage accidenté, les premiers navigateurs portugais croyaient entendre un rugissement de lion : Sierra Leone.
Freetown nous prend dans ses griffes. (...) Chaque maison est un commerce usé par les années, l'humidité. Sur les trottoirs défoncés, des enfants vendent des bonbons à la pièce empapillotés de papier mauve.(...)
A chaque carrefour, des policiers en uniforme bleu et casquette blanche froissée comme de la crinoline. Les femmes en boubou portent leurs enfants dans le dos. Il fait une chaleur terriblement moite. Des adolescents, liasses de billets dans la main gauche, vendent des cigarettes américaines de la main droite aux conducteurs de voiture, qui ralentissent mais ne s'arrêtent pas.
D'autres proposent de l'eau, du lait de coco, des sirops jaunes et rouges dans des petis sacs en plastique. Il y a tout et rien : des T-shirts à l'effigie de Bob Marley et de Malcolm X, des posters, des paniers tressés. Freetown est un bloc de latérite que la chaleur a fait exploser.
Des banques, des compagnies aériennes évoquent des bornes kilométriques dans la brousse. Mais leur rideau de fer est tiré, leur téléphone ne répond plus. La poussière et le soleil vont ronger leur nom peint sur des blocs de ciment. Les rue semblent dériver vers la mer. La lumière est crue, vaporeuse. Partout des panneaux du gouvernement annoncent la réhabilitation d'un quartier. Tout cela va être détruit par une guerre civile terrible qui s'approche des faubourgs de Freetown..."
Olivier Frébourg - Un homme à la mer - Folio n° 4526 -