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Soulfood équatoriale de Léonora Miano

Publié le 13 août 2009 par Icipalabre
soulfood.1250170472.jpgLeonora Miano

Soulfood équatoriale

Nil. Exquis d’écrivains. 2009. 100p.


“Il est des jours comme celui-ci, où une fringale de rivage me prend. En un rien de temps, je l’aperçois. Le voici. Là sous mes mains qui cherchent, dans le placard de la cuisine, le gros galet plat et sa petite pierre ronde. Une pierre dense et solide. Elle sert à écraser, une fois posés sur le galet, les ingrédients de la sauce qui me ramènera chez moi. Je la laisse épouser parfaitement le creux de ma main. Aussitôt, j’entends le clapotis de l’eau sur les rochers. Le chant des pêcheurs qui rapportent une moisson de soles à braiser pour les fines cuisinières de la côte… Les saveurs viennent aussi de cette pierre et de son galet, ramassés sur le rivage. J’aime passer la main dessus avant de commencer. Toucher ma terre. Sentir que l’océan qui nous sépare ne sera jamais qu’une fiction.” Extrait p. 9-10.

Leonora miano
Léonora Miano nous avait habitué aux intérieurs nuits sans étoiles et aux jours désespérément lourds. Dans le triptyque, L’intérieur de la nuit, Les aubes écarlates, Contours du jour qui vient, récompensés de prix prestigieux dont le troisième, Goncourt des lycéens, l’auteur s’attache à faire voler en éclats l’image pittoresque des boubous chamarrés, l’écho des tambours sacrés, la magie de la terre première, pour dénoncer, dans une langue compacte, sans complaisance une Afrique générant, après les colons venus de tous bords, ses propres prédateurs…

Léger. Exquis, à l’image de cette collection « gourmande » nourrie des écrits d’auteurs contemporains. Léger. Mais pas seulement !

Soulfood équatoriale pourrait s’apparenter à un guide de routard gastronome promenant son nez en terre camerounaise, les papilles exaltées par les saveurs, les narines chatouillées par les senteurs dont les noms seuls (Solo, kingang, calalu, nginge, jambalaya, gombo, pain changé, misole) ouvrent l’appétit de ceux qui ne souffrent pas de surcharge pondérale !. A ceci près que la promeneuse est de Douala et que la balade est souvenir. Rappeler qu’il est des légumes ou fruits qui ne supportent pas le voyage : avocat, mangue, maïs grillé, sans altérer, pour l’exilé, le goût du pays ; que le manja moto macéré dans le gingembre, ail, piment, ndjangsang et pebe écrasé renvoie au peuple qui s’en nourrit ; que le Ndole, dont le nom n’est pas sans évoquer le ndolo (amour), est autant un plat qu’un test amoureux qui ne peut être offert à l’élu de son cœur sans preuves au préalable… dans tous les domaines… !; que la Soul food est une bicoque de bric et de broc ouvert à tous, nantis ou non, pour un plat unique, beignet, haricot et jazz ; que la soul food a voyagé, avec les esclaves, dans les cales des négriers et s’est invitée dans les plats du maître, outre-atlantique ; qu’un avocat volé par un enfant affamé finit sa route sous les roues d’une voiture blasée ; que les écrevisses du Wouri appelé Rio dos camaroes avaient disparu en même temps que les dieux protecteurs du fleuve, devenu vaste dépotoir. Et lorsqu’elle songe aux sauterelles, la madeleine de Proust n’est pas loin.

Exquis. Léger. Mais pas seulement.

Leonora Miano

Alternant humour et gravité, Leonora Miano nous propose de flâner avec elle dans l’histoire, la culture, la société, les mythes de son pays, visité davantage pour les affaires ou le tourisme sexuel que… pour sa cuisine. A bien y regarder, rien d’exotique, mais du vécu intime, tendre et révolté. Elle poursuit son propos, le même, dire et redire l’Afrique dans ce qui désole et rassure tout à la fois.

Exquis.
Monique DORCY
[email protected]


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