Magazine Humeur

Le prêtre et l'art sacré

Publié le 13 août 2009 par Fbruno

L'art sacré sert au prêtre aussi bien dans sa vie d'homme et de chrétien, que dans son ministère presbytéral. Ces deux domaines ont été évoqués par le Saint-Père dans son exhortation apostolique post-synodale Sacramentum Caritatis de 2007, où il définit la beauté artistique comme l'une des « modalités par lesquelles la vérité de l'amour de Dieu dans le Christ nous rejoint » (n.35) et où il souligne le « lien profond entre la beauté et la liturgie ». C'est pourquoi, nous dit le Pape, « il est indispensable que dans la formation des séminaristes et des prêtres soit incluse, comme discipline importante, l'histoire de l'art avec une référence spéciale aux édifices du culte à la lumière des normes liturgiques » (n. 41).

Ces paroles font partie de la tradition catholique millénaire, qui a toujours promu, expliqué, et même défendu à l'occurrence, la fonction de l'art dans la croissance spirituelle des croyants et dans la mission pastorale de l'Église. Déjà à la fin de l'ère patristique, saint Grégoire le Grand décrivait l'expérience des premiers siècles chrétiens en termes que la tradition a résumés par l'expression Biblia pauperum, la Bible des pauvres. S'adressant à un évêque iconoclaste, il a souligné la finalité proprement spirituelle des images sacrées : « Une chose est d'adorer un tableau, autre chose est d'apprendre ce que veut dire adorer au moyen d'une scène représentée dans un tableau », disait-il, en ajoutant que « la fraternité des prêtres se doit d'avertir les fidèles pour qu'ils ressentent une componction ardente devant le drame que la scène représente, et qu'ainsi ils se prosternent humblement en adoration devant la seule Trinité très sainte et toute-puissante » (Epistola Sereno episcopo massiliensi, 2,10). Dans le même esprit, à notre époque, le Pape Paul VI a souligné l'affinité étroite qui existe entre le travail du prêtre et celui de l'artiste : « Nous honorons grandement l'artiste – disait-il lors d'une audience du 7 mai 1964 – « parce qu'il accomplit un ministère para-sacerdotal à côté du nôtre. Notre ministère est celui des mystères de Dieu, le sien est celui de la collaboration humaine qui rend ces mystères présents et accessibles ». Et dans le document de loin le plus important en la matière, la Lettre aux artistes de 1999, Jean-Paul II revient sur ce thème en déclarant que « pour transmettre le message que le Christ lui a confié, l'Église a besoin de l'art. Elle doit en effet rendre perceptible et même, autant que possible, fascinant le monde de l'esprit, de l'invisible, de Dieu » (n.12).

Ces textes du Magistère sont à l'arrière-plan de l'appréciation de celui qui était alors le Cardinal Préfet de la Congrégation pour la Foi, Joseph Ratzinger, dans son introduction au Compendium du Catéchisme de l'Église Catholique pour lequel il avait choisi personnellement une série d'images de différentes époques et cultures. Le futur pape notait que « en tous temps, les artistes ont offert à la contemplation et à l'admiration des fidèles les événements marquants du mystère du salut, les présentant avec la splendeur des couleurs et dans la perfection de la beauté », et il concluait dans une perspective pastorale, en affirmant que le rôle de l'art dans le passé est « un indice de ce que, aujourd'hui plus que jamais, dans la civilisation de l'image, l'image sainte peut exprimer beaucoup plus que les paroles elles-mêmes, car son dynamisme de communication et de transmission du message évangélique est autrement efficace ». Le prêtre, dont la spiritualité personnelle et professionnelle est liée aux signes sacramentaux qu'il administre, saisit sans peine le lien entre art visuel et foi chrétienne. Il sait qu'en Jésus Christ, le Verbe de Dieu s'est rendu visible, en devenant lui-même « image du Dieu invisible » (Col 1,15), et il comprend donc que les images humaines jouent dans la vie des chrétiens un rôle qui par certains côtés est analogue à celui du Verbe incarné dans l'Histoire. « Jadis, on ne pouvait faire d'image d'un Dieu incorporel et sans contour physique », rappelait saint Jean Damascène, se référant à l'interdit vétérotestamentaire de représenter la Divinité. « Mais maintenant que Dieu a été vu dans la chair, [poursuivait-il] et qu'il s'est mêlé à la vie des hommes, il est devenu licite de faire une image de ce qui a été vu de Dieu » (Discours sur les images 1,16). Citant cet auteur du VIIIe siècle, Jean-Paul II écrivait en 1987 : « L'art de l'Église doit viser à parler le langage de l'Incarnation et, avec les éléments de la matière, exprimer Celui qui a daigné habiter dans la matière et opérer notre salut à travers la matière » (Duodecimum saeculum, n.12).

Même si nous utilisons encore le terme « Bible des pauvres », il ne s'agit donc pas seulement d'images pédagogiques qui, dans certaines circonstances particulières, peuvent remplacer le texte écrit. C'est plutôt que, dans la conception catholique, l'image peut toucher la réalité morale et spirituelle intime de la personne. « Notre tradition la plus authentique, que nous partageons pleinement avec nos frères orthodoxes – disait encore Jean-Paul II – nous enseigne que le langage de la beauté mis au service de la foi est capable d'atteindre le cœur des hommes et de leur faire connaître de l'intérieur Celui que nous osons représenter dans les images, Jésus-Christ » (Ibid., n.11). Dans un document parallèle, datant lui aussi de 1987, le Patriarche Dimitrios Ier de Constantinople affirmait que, dans la tradition orthodoxe, « l'image (…) devient la forme la plus puissante que peuvent prendre les dogmes et la prédication » (Encyclique sur la signification théologique de l'icône, 14.9.1987). Dans l'une et l'autre de ces traditions en effet – celle de l'Église d'Orient comme celle de l'Église d'Occident – l'emploi des images sacrées dans le contexte de la liturgie a servi au cours des siècles à manifester le rapport particulier entre « signe » et « réalité » qui existe, grâce à l'Incarnation du Christ, au sein de l'économie sacramentelle. En réalité, ce rapport transparaît dans toutes les œuvres que l'homme associe au culte divin : des vases sacrés et des tissus aux œuvres architectoniques les plus monumentales, par le fait que l'emploi des choses dans la liturgie de l'Église révèle et actualise la vocation du monde infrahumain, appelé avec l'homme et par l'homme à rendre gloire à Dieu. Cependant, plus encore que des choses, l'art parle des hommes et des femmes qui le créent car – comme le déclarent les Évêques de Toscane dans une lettre pastorale de 1997 – par la façon dont ils ‘transfigurent' la matière, les artistes révèlent par analogie la structure de toute créativité personnelle, c'est-à-dire la façon dont tout homme et toute femme ‘projette', ‘façonne' et ‘colore' sa vie pour mieux servir Dieu et son prochain » (La Vita si è fatta visibile. La comunicazione della fede attraverso l'arte, n.12). Jean-Paul II assignera la place de cette observation dans l'horizon éthique de chaque artiste, en affirmant que « celui qui perçoit en lui-même cette sorte d'étincelle divine qu'est la vocation artistique… perçoit en même temps le devoir de ne pas gaspiller ce talent, mais de le développer pour le mettre au service du prochain et de toute l'humanité » (Lettre aux artistes n. 3). Il recrée avec des tons argentés et des teintes lumineuses l'expérience de l'artiste, « où l'aspiration à donner un sens à sa vie s'accompagne de la perception de la beauté et de la mystérieuse unité des choses ». Il reconnaît la frustration ressentie par les artistes devant « l'écart irrémédiable qui existe entre l'œuvre de leurs mains, quelque réussie qu'elle soit, et la perfection fulgurante de la beauté perçue dans la ferveur du moment créateur », dont l'éclat de l'œuvre effectivement peinte ou sculptée n'est qu'un pâle reflet. Mais il partage aussi le ravissement du croyant devant un chef d'œuvre de l'art, en expliquant qu'« il sait que s'est ouvert devant lui pour un instant cet abîme de lumière qui a en Dieu sa source originaire » (n.6).

Voilà pourquoi déjà Paul VI, s'adressant aux poètes, hommes de lettres, peintres, sculpteurs, architectes, musiciens, gens du théâtre et du cinéma, à l'issue du Concile Vatican II, avait déclaré : « L'Église a, dès longtemps, fait alliance avec vous. Vous avez édifié et décoré ses temples, célébré ses dogmes, enrichi sa liturgie. Vous l'avez aidée à traduire son divin message dans le langage des formes et des figures, à rendre sensible le monde invisible. Aujourd'hui comme hier, l'Église a besoin de vous et se tourne vers vous. Elle vous dit par notre voix : ne laissez pas se rompre une alliance féconde entre toutes ! Ne refusez pas de mettre votre talent au service de la vérité divine ! Ne fermez pas votre esprit au souffle de l'Esprit Divin ! Ce monde dans lequel nous vivons a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans la désespérance. La beauté, comme la vérité, met de la joie au coeur des hommes, et elle est un fruit précieux qui résiste à l'usure du temps, qui unit les générations et les fait communier dans l'admiration » (Messages du Concile à l'humanité, 8 décembre 1965). De tout cela, il résulte que le prêtre doit aller à la rencontre des artistes, les connaître et apprendre d'eux. À leur façon, ils sont tous des hommes et des femmes « de foi » – même lorsqu'ils se disent non-croyants – parce qu'ils font des choses. La foi est créative, elle engendre des œuvres, et « si elle n'a pas d'oeuvres, elle est morte en elle-même » (Jc 2,17), comme le serait une idée géniale que l'artiste n'aurait pas traduite en tableau ou en statue. La foi ensuite est un terrain familier aux artistes, qui sont confrontés chaque jour à la difficulté de traduire leurs intuitions et leurs idées, leurs impressions et leurs observations, en les concrétisant dans des « œuvres ». Ils savent bien que la seule façon de progresser est de travailler, de se jeter à l'eau, en prenant le risque d'un échec – le gaspillage de temps, de matériau, d'énergie ; en risquant même le ridicule. Mieux que les autres, ils comprennent comment chez Abraham « la foi coopérait aux oeuvres » et « par ses œuvres devint parfaite » (Jc 2,21-22).

Mais les artistes comprennent la dynamique de la foi à un niveau plus essentiel encore, en s'identifiant avec le « risque » et le « pathos » de Dieu-même en tant qu'Auteur. Ils vivent comme une espérance, une nécessité et une souffrance intime le désir d'extérioriser une idée fugitive, un concept « unique, multiple, subtil, mobile, pénétrant » (Sg 7,22) qui semble récapituler tout ce que l'artiste sait qu'il porte en lui, et qu'il veut, qu'il doit partager avec les autres, pour leur faire voir de leurs yeux, contempler et toucher de leurs mains, quelque chose qui était en lui, « depuis le commencement » (1Jn 1,1). Il n'existe pas d'artiste qui ne s'identifie avec le Créateur, qui a tout risqué pour rendre sa propre « vie…visible » aux hommes (1Jn 1,1-2).

Des artistes, le prêtre peut apprendre que la foi est en soi un art. Certes, elle est d'abord un don, mais c'est un don que, comme tout talent humain, celui qui le reçoit doit cultiver. Je ne parle pas ici de « la foi » comprise comme système, comme synthèse admirable des croyances et des traditions, mais de l'acte de foi, du saut de foi, du risque qui fait que l'on passe d'une existence « artisanale » faite de causes et d'effets, à la vie ressentie comme art, vécue comme une œuvre « inspirée », ouverte à la gratuité, informée par la grâce. Les causes et les effets peuvent malheureusement déboucher aussi sur des vengeances et sur des guerres, en rendant l'homme prisonnier ; la grâce, qui est vérité donnée gratuitement, pardonne et rend libre.

Ces choses, le prêtre doit les savoir quand il prie, quand il célèbre la messe, quand il réconcilie les pécheurs avec Dieu. Et il peut les apprendre aussi, si Dieu le veut, de l'art et des artistes.

* Mgr Timothy Verdon, Chanoine de la Cathédrale métropolitaine de Florence et Directeur du Bureau pour la Catéchèse par l'Art de l'Archidiocèse de Florence, a été Consulteur de la Commission pontificale pour les Biens culturels.


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine