Voilà un certain nombre de jours que je vous ai déserté sans préavis, mes amis.
J’étais pas là —c’est une raison. C’est beau, Ouessant, l’été... et le muscadet y coule aussi bien que sur le Continent.
Maintenant, fini les vacances. J’ai des trucs intensifs à faire dans les mois qui viennent et les journées ne durent que 24 heures alors je suis bien obligé de faire des choix, notamment je me désinternetise pour un temps, du moins sur un plan actif. Mais je viendrai vous lire en fantôme. Merci pour l’accueil, continuez bien, et rdv début 2o1o si vous voulez toujours de ma trogne de korrigan vieillissant. J’aime beaucoup l’ambiance ici, cet espèce de ‘melting pot’ de gens qui ailleurs se foutraient sur la tronche tant les différences sont hénaurmes. C’est bien.
J’avais annoncé un truc pour le 14 août, je le pose. Normal.
Portez-vous bien.
Joyeux noël.
Bonne année.
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Jadis, j’ai mis au point une petite expérience infaillible pour déterminer si un vieillard possède encore presque toute sa tête —qu’est-ce que j’ai pu me fendre la pipe avec ça, quand j’avais 15-16 ans. Je vous explique la procédure, un jour peut-être vous en aurez l’usage —ou, pire des cas, ça pourrait vous égayer un moment perdu dans un jardin public un soir où vous attendriez Madeleine, qui n’arrive pas. Alors... pendant qu’il pleuvra sur vos lilas, pour faire semblant de vous changer les idées noires vous repérerez un bon pépère proche du centenaire, genre qui donne des croûtons de pain aux pigeons avant d’aller remettre ses vieux pieds devant la cheminée —voire dedans, pour les plus atteints. Donc vous repérez un vieux, un très vieux. Tel un centriste en campagne électorale, vous vous approchez innocemment du chenu nourrisseur de chieurs en l’air. Une fois en face du croulant, vous faites un effort pour conserver tout votre sérieux et vous lui demandez:
— “Vous habitez chez vos parents?”
Si le vieillard vous regarde avec de bons yeux émerveillés, nul doute possible, le royaume de jéhovah lui appartient. Si par contre vous percevez une forme de courroux dans le regard de l’ancêtre, méfiez-vous... certains viocques ont le coup de canne qui part tout seul. Et savent qu’aux assises, ça se plaide.
# 66 — NOS VIEILLARDS
Posons d’emblée la question centrale, la question qui fâche: qu’en faire, de nos vieillards? Voilà une grave question.
Mais avant se songer à en faire quelque chose des vieux, tentons de les comprendre un peu. Car les vieillards existent, on en rencontre tous les jours. À ce titre il est bien légitime d’apprendre à les repérer, il est même sans doute nécessaire d’essayer de se mettre un minimum à leur place. Oui, je sais, ce n’est guère facile et encore moins ragoûtant, tellement les vieillards ont si peu de points communs avec nous-autres êtres humains dignes de ce nom. En plus, faut avoir envie... car "se mettre à la place des vieillards", voilà une abnégation scientifique qui n’est pas donnée au premier chercheur venu quand on n’est pas spontanément enclin à élucubrer des énormités trop bizarres dans sa tête. Néanmoins, ce n’est pas parce que les vieillards sont différents des gens normaux que nous devons oublier qu’eux aussi, autrefois, furent des hommes au sens noble du terme. Il faut les considérer avec les yeux de l’amour, les vieillards —au même titre qu’en regardant le pauvre paillasson qui bouge encore un peu au pied du radiateur on voit Youki, qui fut il y a quinze ans un jeune chiot plein de vigueur. Ah... les yeux de l’amour qui permettent de percevoir "les bons côtés de la vieillesse". Et de comprendre scientifiquement pourquoi ces épaves sans avenir n’ont pas la lucidité de se saborder dans la dignité, tant qu’ils en ont encore les ressources physiques et intellectuelles.
Seulement, pour comprendre scientifiquement il faut connaître. Et pour connaître les vieux sans trop se salir le bout des manches, le mieux est d’aller voir ce qu’on en dit au ‘Grand Robert’. Donc, tome 9 (qui va de Suc à Z). Alors... je cherche... “vrac”... “vomissure”... “vin”... “vieillerie”... ah ça y est, “vieux”. Page 737. Ouh vingtdieux, plus de deux pages sur “vieux”, deux grosses pages écrites tout petit... on voit tout de suite que le mot “vieux” a pas mal inspiré les nobles plumes de cette respectable institution séculaire —logique, pas dur de se figurer que les gratteurs d’articles dans le dico ça doit plutôt être de la bestiole à poil blanc. Pfff... deux pages autoviocgraphiques grand format écrit minuscule, s’il faut que je me fasse suer à lire tout ça on n’est pas encore couché. Fait chier, pas qu’ça à fout’... en plus c’est bientôt l’heure de Groland et j’ai mes brochettes à cuire. Bon... on va ruser. Pour une fois je vais regarder dans le ‘Petit Robert’, ni vu ni connu. Alors... page 2o92... ah, ça va tout de suite mieux. À “vieux”, le P’tit Bébert nous dit: "Adj. Qui a les caractères physiques ou moraux d’une personne âgée, d’un vieillard (voir caduc, décrépit, sénile)". Et aussi: "Nom. Un vieux, une vieille (avec une valeur un peu méprisante ou condescendante). Voir vieillard, et pop. croulant, vioc". Très bien. Ça y’en a être excellente documentation des familles, oh oui, moi y’en a désormais posséder tout ce que moi y’en a demandé pour commettre bon ouvrage sociologique de première ligne, mes sources exhaustives sont désormais blindées —même que s’il n’était pas bêtement mort de vieillesse en 1994, aujourd’hui il serait trop fier de moi, Karl Popper. Ah oui, j’ai tout, absolument tout, je peux commencer à limer dans le vif de l’âge mûr sans craindre d’être accusé de ne pas observer une démarche épistémologique à se faire gicler les boutons du ticheurte en plein soleil, pastis en main. La Recherche Scientifique c’est pas pour les rigolos, surtout dans lesdites ‘sciences humaines’ où l’on rencontre quand même une sacré concentration de branleurs rétrogrades qui se noient dans leur propre sperme, quand ils ne sont pas à manifester grégaire contre la nécessaire réforme de leur statut d’ancien régime qui leur permet de se les rouler ad vitam à nos frais en radotant de vieilles théories d’ahuris que même en Corée du Nord on a abandonnées depuis longtemps. Mais avec moi vous êtes peinard, mes chers étudiants, je viens d’être certifié “chercheur de l’année” par un panel de consommatrices satisfaites ou déchirées. Et si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre, je vous le prouve juste après la petite *.
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LES VIEILLARDS, étude sociologique à peu près objective.
De même que nos jeunes sauvageons de l’Éducation Nationale constituent une monstrueuse charge pour l’Éducation Nationale (ou ce qu’il en reste après des décennies de foirades pédagogiques qui dans leur laxisme auront au moins eu le mérite de m’offrir une scolarité radieuse de petit blondinet disciple de Françoise “faut pas traumatiser le petit” Dolto), nos vieillards débris de la société sont une monstrueuse charge pour la société —il n’y a guère que les croulants pour le nier (du moins, ceux d’entre-eux qui sont encore dotés de suffisamment de vocabulaire pour arriver à construire une phrase en dentier).
Le vieillard nous coûte très cher et nous rapporte fort peu, y compris en terme de farines animales au vu de la déperdition en eau au moment de la transformation industrielle de la matière première —vous pouvez vérifier, c’est prouvé dans plein de statistiques que personne ne lit. Et ce n’est pas nouveau: de tout temps, les vieillards ont constitué un épouvantable fardeau pour la collectivité. On dit qu’ils ont “fait leur temps”, et on les laisse royalement achever le reliquat qu’il leur en reste sans exiger de contrepartie sociale autre que consumériste —c’est ce qu’on appelle la moribonde “retraite par répartition” (une invention de vieux à l’époque où c’est les colonies qui finançaient l’État-providence).
Dans sa manière de traiter ses vieillards, l’espèce humaine diffère énormément des autres êtres vivants qui composent la merveilleuse biodiversité de notre bonne vieille Terre, cette étoile où toi aussi tu brilles un peu. Chez la hyène subsaharienne par exemple, depuis des millions d’années la question de la retraite est vite pliée —et faut dire que ça a l’air de très bien marcher comme ça. Nous, humains humanistes des droits de l’homme, possédons une sensibilité particulière, pour ne pas dire une sensiblerie, qui nous contraint à nous comporter différemment envers nos anciens, ou au moins à faire correctement semblant en public (si on avait du temps à perdre, on pourrait en effet débattre longtemps pour savoir qui est le moins à plaindre entre la vieille hyène subsaharienne croquée en une seule fois par ses enfants et le vieillard qui finit à petit feu à Bois-Joli en servant de sujet d’expérimentation à bien des déontologies médicales bioéthiques sous la direction du docteur Melinda Creuton, 41 ans, gérontopsychologue ès-nanotechnologie, qui ne perd rien pour attendre une bonne trentaine d’années avant de se les recevoir à son tour à l’endroit idoine, ses bionanotechnologies). Néanmoins, une chose est certaine: sauf en cas de famine épouvantable (genre quand Staline à fait crever une bonne partie de l’Ukraine en 1931 pour apporter à ces moujiks petit-bourgeois tous les bienfaits du progressisme), les humains ne sont pas des hyènes subsahariennes et donc ne mangent pas leurs vieillards. C’est ce qu’on appelle un tabou. Un tabou ancré tellement profond dans la culture humaine que Moïse n’a même pas pensé à faire "de vieillards tu ne mangeras point" un onzième commandement —à moins qu’il avait trop mal aux mains d’avoir déjà gravé dix lignes dans le marbre en plein soleil sans même s’arrêter cinq minutes pour vider une 1664 de l’époque, va savoir, et qu’à bout de forces ce pauvre choupinet soit retombé le cul dans la poussière du Sinaï pendant que du haut de son nuage Dieu continuait à déclamer les 999o commandements restants sans avoir vu que la dactylo ne suivait plus —si tel est le cas, pas besoin d’avoir volé une licence de théologie pour comprendre que le jour du Jugement Dernier ça va chier des pépins pour le pauvre barbu de la Mer Rouge.
— “Dis-donc, Moïse, viens voir un peu par là...”
— “Oui, Dieu. J’arrive. Mais pourquoi ce bazooka?”
Qu’une frange déclinante de la population vivote aux crochets du reste de la société sucée par les effets secondaires de ce que l’on nomme pudiquement “la vie active”, à première vue il n’y a pas là de quoi en faire aujourd’hui plus qu’hier un frometon gorgé d’asticots. Mais à deuxième vue, si, il y a de quoi en mouler un beau claquos bien dégoulinant, des vieillards à charge en pure perte. Car le problème, en ce XXIè siècle, du moins dans les pays riches, le problème c’est cette fameuse “pyramide des âges” dont on entend tous les jours causer à la télé pour peu qu’on la regarde encore (pyramide qui, parti comme c’est —sauf destruction massive des stocks d’anticholestérol ou grippe porcine un peu musclée— n’aura bientôt plus de “pyramide” que le nom). Car notre glorieuse civilisation des Lumières baisse d’intensité... désormais les mamis et les papis pullulent dans le tissu social à tel point que certains penseurs avant-gardistes, genre Métamomo Dantec, n’hésitent plus à se demander s’il ne serait pas temps d’instaurer le port de “l’étoile vermeil” et d’en tirer d’objectives conclusions qui ont déjà fait leurs preuves dans un passé pas si lointain, comme nous ne le verrons pas un peu plus loin —sacré Momo, quel boute-en-train vers la Pologne.
Alors qu’on détient la preuve scientifique qu’ils ne se reproduisent pas, on rencontre donc de plus en plus de vieillards dans nos contrées —troublant paradoxe qui est de nature à émouvoir les comités des tiques qui grattent sur la question, se montrant intimement préoccupés par ce que les plus éminents démographes de moins de 6o ans n’ont pas manqué de qualifier de “tragédie sanitaire en devenir” (les démographes octogénaires trouvant pour leur part que tout va très bien, merci, et pourvu que ça dure encore une bonne décennie sans trop se casser la gueule).
Certes, nous connaissons le principal responsable de cette triste situation: la médecine moderne et ses alliés sournois (vaccin contre la grippe, paiceméqueur, hanches en plastique, aide à domicile, allocation dépendance, jolies infirmières dévouées dans de magnifiques tenues qui grattent l’entrejambe, etc.). Oui, il faut être honnête intellectuellement.... tout le monde sait que la médecine moderne fait durer les vieillards au-delà du raisonnable, et ça plombe tout le reste de la collectivité encore plus que l’insensé maintient à flots de la Corse qu’on aurait bien mieux fait de revendre à l’Italie quand c’était encore jouable (et puis les italiens ça ne les dérangerait pas de récupérer la Corse, c’est déjà tellement le bordel chez eux qu’ils ne verraient pas la différence —on pourrait même la leur donner gratuitement, la Corse, aux italiens, comme preuve de l’amitié transalpine... et avant de signer le traité on en profiterait pour remplir la Corse avec tous nos concitoyens de plus de 7o ans, histoire de joindre l’utile au nécessaire). Car pour l’instant on est coincés avec nos vieux, on ne peut rien faire de sérieux, tout le monde sait qu’il faudra attendre la prochaine phase de chaos mondial pour que la Nature nous arrange le coup en liquidant en moins d’un mois tous les grabataires sous assistance plus ou moins respiratoire, un peu à la manière de ce qu’il s’est passé dans les hôpitaux français pendant la débâcle de 194o. Si si, véridique. On en pense ce qu’on en veut mais les faits restent les faits et ils sont aussi têtus que la chute du mur de Berlin: au printemps 194o, plein de personnes à mobilité plus que restreinte sont littéralement mortes de faim dans leurs chambrées de l’Assistance pendant que les fantassins du Service Public usaient leurs godasses sur les routes de la Doulce France en essayant de passer à travers les ra!ta!ta!ta!ta!ta!ta! des Stukas. C’est historique, je vous assure. Si vous ne me croyez pas, lisez les livres qui causent de ça —c’est écrit dedans. Si, si. Avec des mots sur des pages. Même que tout ça est relié. Certains déphasés surculturés vont jusqu’à prétendre que ça se vend, un peu.
Mais.
En attendant que Dame Nature prive le parti communiste de ses derniers électeurs, il faut bien que l’on gère nos vieillards dans le respect de la personne et des droits de l’homme sous peine d’être traités de hyènes subsahariennes par la Communauté Internationale verrouillée par le lobby des ridés à crâne dégarni —ce qui, en langage non-diplomatique, signifie: les vieillards nous tiennent par les couilles. Mais on les aime bien quand même, nos vieillards, et pas seulement parce qu’on n’a pas le choix. Si on les aime c’est aussi par respect, voire par affection. Car nous, nous qui serons les vieillards de demain à la merci des bébés d’aujourd’hui, nous ne devons pas oublier que jadis les vieillards d’aujourd’hui furent les adultes d’hier... et nous ne devons pas oublier que ce sont eux, les adultes d’hier, qui ont inventé les Tchernobyl, les pétroliers monocoques, les réseaux de prostitution enfantine, les Vladimir Poutine, les ‘golden parachute’, les guerres civiles, les théocraties et autres usines de Bophal sans quoi le réjouissant monde d’aujourd’hui ne serait pas ce petit paradis qu’il est. Nous, les adultes d’aujourd’hui, ne devons jamais oublier que le monde dont nous, si je puis dire, jouissons, a été entièrement créé par ces vieillards désormais à notre merci. À ce titre, la “solidarité entre les générations” ne doit pas rester une formule aussi abstraite qu’un couinement d’engagé dans les luttes sociales. Faut qu’ils payent pour ce qu’ils nous ont fait, ces salauds de vieux. Car comme l’a écrit M. Edgar Morin Edgar: "on mesure le degré de civilisation d’une civilisation à la manière dont elle traite ses personnes âgées". Cette illumination d’Edgar Morin Edgar, venue d’un coup à son prodigieux esprit un jour où, tel feu Jean-Paul Deux, il avait été obligé d’appeler “au secours!” pour qu’on le sorte de sa baignoire, fut d’ailleurs à l’origine d’une pétition qui généra énormément de clapotis parmi les intellectuels qui s’étaient engagés d’assez loin pendant les événements d’Algérie. Malheureusement, cette pétition ne fut jamais relayée par les grands médias américanosionistes qui sont trop occupés à organiser des rafles de Résistants au totalitarisme démocratique pour passer des heures à enlever de la liste des signataires les noms de ceux qui ont clamsé dans les dernières vingt-quatre heures —attitude journalistique que M. Edgar Morin Edgar qualifia de, je cite même si j’ai un peu honte de taper de mes doigts une telle formule, "digne des plus noires heures de notre Histoire". Entre-nous, Edgar, les pétitions, les études, ce n’est plus de ton âge tout ça... et dis-moi, franchement, au lieu de nous pianoter de la géopolitique rétro tu ne crois pas que tu serais bien mieux à jouer au tarot avec tes copains devant une bonne verveine-menthe? Allez, Edgar... arrête un peu de faire ton vieux bourricot, ça devient ridicule. Rââââh, foutue tête de mule... pire qu’un gamin! Et comme en plus tu vas bientôt nous péter ta durite, Edgar, ça va m’obliger à mettre ce paragraphe à l’imparfait. Tu ne fais vraiment rien pour m’arranger. Ah, ces croulants...
Si l’homme n’était pas un loup pour l’homme, on pourrait compter sur un certain civisme des vieillards. Par crainte de devenir une charge, le vieux devrait avoir la dignité de mourir relativement jeune. Reconnaissons que ça résoudrait tous les problèmes à peu de frais —la plupart des jeunes le pense.
Jeunesse et vieillesse n’étant que phases différentes de la vie que nous traversons chacun tour à tour (sauf les poissards genre Depardieu junior), on ne peut évidemment évoquer l’une sans l’autre. Vous connaissez la savoureuse chanson de Brassens, "méditez l’impartial message d’un qui navigue entre deux âges...". Alors quoi? Hé bien oui, aux deux extrêmes de la vie on observe des choses guère reluisantes. Sitôt aux prises avec les dérèglements hormonaux de la puberté, on entend les plus virulents de nos amis les jeunes clamer: "quand j’aurai enfin l’âge d’être aux affaires, ça va barder pour les viocques!". Et moi-même, quand j’avais 18 ans, je n’étais pas le dernier à braire ce genre de nazerie —je rougis de l’avouer mais... tel ce fut, quelle pitié (dans un des textes de “le yogi et le commissaire”, Arthur Kœstler dit en substance: "si les adolescents nous tapent tant sur les nerfs c’est parce qu’il est trop pénible de voir les plus jeunes répéter les âneries qu’on a soi-même soutenues à la suite de nos pères, qui eux-mêmes...". Putain que c’est triste, ça... mais bon... ça fait partie de la vie, y’a rien à y faire. À part remercier le sort d’avoir été jeune dans une période calme de libéralisme bon teint qui permettait de s’en mettre plein la lampe sans penser à rien, quand d’autres ont perdu leurs belles années dans un stalag ou un goulag. Voilà, c’était ‘le coin de la philosophie’ appliquée à pas grand’chose, reviendons-z-en t’au propos). Donc les plus virulents de nos amis les jeunes veulent faire la peau aux vieux, c’est bien légitime. Malheureusement, il semblerait qu’en vieillissant les plus virulents de nos amis les jeunes changent d’avis sur cette question, abandonnant leurs idéaux de jeunesse pour chausser des charentaises qu’ils conspuaient quelques années plus tôt, laissant à leurs enfants rebelles la pureté militante de vouloir tout changer le monde dans vingt ans qu’on abolira la guerre et l’inégalité et le racimse qui font trois, quand nos jeunes enflammés seront enfin aux affaires et ça bardera pour les viocques. Tsssss. Le bon côté de cette histoire sans fin c’est qu’il est toujours plaisant de regarder les jeunes romantiques qui ont trop ouvert leur gueule hier devenir de vieux croûtons réactionnaires qui cherchent à sauver de lithiques apparences au prix de contorsions plus ou moins pénibles en fonction du niveau d’idéalisme affiché à l’époque où les cheveux qu’ils n’ont plus étaient longs —vraie délectation de boire le verbiage d’un ancien maoïste devenu député social-traître, expliquant, sans frémir plus que parkinson ne l’exige, qu’on peut souhaiter l’ordre dans la rue et “l’allocation dépendance” sans renier l’idéal révolutionnaire de ses vingt ans, à l’époque où l’on était parti pour pendre les patrons avec les tripes des curés histoire de “libérer le travailleur” —en concluant généralement son discours d’un chevrotant: "nous, au moins, on avait un Idéal". Tssss tssss, pauvre dindon déplumé, retourne à ta gamelle. Car nous sommes bien contraints d’admettre cette pénible vérité: au même titre que le cheminot est pour le régime social particulier de la SNCF ou ce qu’il en reste en dépit des salutaires réformes de notre Bien Aimé Président qui lutte si fort contre les corporatismes d’une autre époque et les sabotages inefficaces des ennemis de l’intérieur dont les jours sont comptés par monsieur Brice Hortefeux en personne, quelle qu’ait été sa jeunesse enfuie le vieillard est farouchement pro-vieillards. Une vraie Internationale qui transcende les races, les langues, les cultures et les sonotones. On ne peut donc pas compter sur les vieux pour résoudre eux-mêmes les nombreux problèmes qu’ils posent à la société. Va donc falloir procéder autrement, ach zo natürlich.
Procéder autrement, d’accord, mais concrètement... revenons à notre interrogation initiale: on en fait quoi, de nos vieillards?
On pourrait les empailler pour faire joli, comme ça au moins on serait sûr qu’ils arrêteront de nous les râper avec leurs trois 2CV en travers de la rue Gay-Lussac de mai ’68.
On pourrait s’en servir comme ralentisseurs à la sortie des écoles primaires Jean Pagnol ou Marcel Moulin, histoire de vérifier la solidité de leur motivation quant à la “solidarité entre les générations”.
On pourrait les transformer en bouffe pour chat, si nos matous trop gras n’étaient devenus si difficiles en matière de qu’est-ce que y’a dans leur gamelle de prédateurs embourgeoisés.
On pourrait arrêter de les arroser pendant une semaine ou deux, pour leur apprendre c’est qui qui commande.
On pourrait leur coller un bouchon dans le fondement, de sorte qu’ils apporteraient leur pierre à la lutte contre le trou de la couche d’ozone.
On pourrait leur sucrer “Derrick” et “des chiffres et des lettres”, pour voir la gueule qu’ils tireraient.
On pourrait faire passer un contrôle technique aux déambulateurs de plus de trois ans, rien que pour les emmerder.
On pourrait remplacer toutes les lettres du Scrabble par des ‘Z’, par simple méchanceté gratuite.
On pourrait mélanger les pilules bleues et les pilules vertes, histoire de rigoler sans peine, en plaidant le daltonisme.
On pourrait introduire du mortier à prise lente dans leur purée, par simple curiosité scientifique.
On pourrait leur envoyer les petits frères des pauvres, pour arracher les pièces jaunes de leurs doigts crochus.
On pourrait les obliger à héberger chacun une famille de clandestins, pour faire péter le score de Le Pen aux prochaines présidentielles histoire de mettre un peu d’ambiance dans la ‘soirée électorale’.
On pourrait convertir leurs retraites en actions Eurotunnel, pour le plaisir de les entendre glapir qu’on en veut à leurs sous (preuve qu’ils sont moins gagas qu’on pourrait le croire).
On pourrait rendre l’euthanasie laïque, gratuite et obligatoire, pour traiter les questions de fond dans le respect de la Constitution —et en plus, ça créerait des emplois quelle que soit la situation dans les multiples merdiers du moyen-orient.
On pourrait... on pourrait...
Vous voyez, mes chers étudiants, ce ne sont pas les pistes de travail qui manquent. Et pourtant, depuis toujours rien n’est fait. Alors, si des solutions existent sans que rien ne soit mis en œuvre... où c’est-il crénom donc qu’il blesse, le bât?
Ce qu’il manque, c’est la volonté politique. Et pourquoi? À cause de la démocratie directe, cette salôôôôpe, épaulée par ce sournois ‘suffrage universel’ vendu à l’Europe de Maaaastrique qui mène la Patrie à la ruine. Et pourquoi? Parce que le vieillard est un électeur. Un électeur assidu, même. L’électeur par excellence. Telle une vache le passage d’un Jacques Chirac, un vieillard ça ne rate pas une élection. C’est normal. Comme il n’est plus ligoté à un travail et autres servitudes des “actifs”, le vieillard, qui finit tôt ou tard par se lasser du jardinage, des mots croisés et des voyages organisés en Bulgarie par autocar, se retrouve seul face à sa vacuité avec tout son temps pour faire chier le monde, et met dès lors un point d’honneur à ne laisser passer aucune occasion de le faire savoir. Et pour foutre sa merde sans risquer de se prendre un mauvais coup de matraque entre Bastille et Nation, quoi de mieux que les élections?
Un homme politique, a fortiori un ‘local’, pour refuser de caresser le vieillard dans le sens des rares poils qu’il lui reste faudrait qu’il soit suicidaire, ou Vert. Mais halte-là malheureux! jamais un politicien sérieux ne dira du mal des vieillards sous peine de s’en mordre la biroute dans les jours suivants. Demandez à Jospin... vieilli + usé + fatigué = nitroglycérine entre les mains d’un parkinsonien sur le point d’éternuer. Tandis que taper sur le sauvageon des banlieues déliquescentes qui de toute façon ne vote pas vu qu’il ne sait même pas ce que ça signifie, c’est bien plus malin —et ça rapporte, bling-bling.
Nous voyons donc que directement ou indirectement, la politique est verrouillée par les vieillards. C’est un fait objectif.
Poursuivant notre analyse impartiale de la viocquitude moderne, nous arrivons à un sujet bien délicat, un sujet qui fâche: le vieillard et ses sous. C’est une question qui se prête aux fantasmes, certes, genre “bas de laine”, mais aussi aux réalités, genre “liasses sous le matelas”.
Car le vieillard n’a pas qu’un poids aux élections ultralibérales de casse sociale antipopulaire, souvent il possède également plein de sous cachés et aucun besoin à part 5o € pour ses p’tites courses de la semaine à la supérette en bas de chez lui —ça aiguise les incisives des truands financiers qui nous doivent des comptes en toute transparence étique. Par respect pour la vie privée de nos anciens, le Ministère des Finances n’a pas jugé déontologiquement correct de nous informer sur le nombre de vieillards qui se sont fait plumer par l’action France-Télécom, mais ça doit être croustillant (si vous faites gaffe à la télé quand on nous montre les associations de ‘petits porteurs floués’, ça respire plus le fan-club de Marianne Faithfull que celui du dernier groupe de rap inaudible qui nous épluche les oreilles à la radio avant de sombrer dans un légitime oubli dont personne de sain d’esprit n’ira se plaindre). Il est néanmoins difficile de compatir aux malheurs des petits vieux floués par ces jeunes chacals avides de fric facile sans risque. Car si nos vieillards épargnants ont “placé” tant que ça de blé en bourse c’est qu’ils n’en avaient pas besoin pour vivre, donc en le perdant ils ne font que quitter un niveau de vie indécent pour retrouver un niveau de vie correct. Plein d’argent dormant est réinjecté dans le circuit, c’est bon pour l’emploi. Ça s’appelle de la ‘régulation sauvage’ pour le bien de la collectivité —où est le problème? Il y a certes le cas des vieillards qui ont emprunté pour jouer en bourse, mais là on quitte le monde de l’économie eud’marché pour rentrer dans le domaine médical (un autre débat qu’on ne va peut-être pas y introduire l’auriculaire sous peine de s’envaser en digressions dont on ignore jusqu’à quels ignobles méandres ça peut mener tout ça).
Après la politique et le pognon, venons-en au cul (comme ça, on aura au moins fait le tour de trois des plus costauds piliers de l’activité humaine). Alors, qu’en est-il des rapports entre l’âge mûr et les sentiments enfoncés profond?
Pendant des milliards d’années et même bien avant l’extinction des dinosaures du politburo, la situation est restée sinon simple du moins stationnaire. On se rencontre, on se marie, on fait des gosses. Arrivait ensuite un âge où pépère commençait à peiner dans le col... et comme de son côté mémère se sentait un peu fatiguée de se faire secouer le juke-box le samedi soir, hé bien, le couple vermeil cessait peu à peu toute bestialité pour enfin s’adonner à la broderie ou à la lecture du journal. C’était l’ordre des choses. À défaut de rosir le bouton à mémère dans son jardin secret, pépère bouturait les roses à mémère dans son jardin tout court. Et voilà. La tendresse, la complicité, la queue en berne, la moule desséchée... les joies du troisième âge. Jusqu’au jour où fut commercialisé le Viagra. Alors là, ça... wow. Mettez-vous à la place de cette pauvre Germaine qui vivait tranquille depuis des années, qui faisait enfin ses nuits, et qui du jour au lendemain a vu revenir son gros Raymond avec une gaule de bachelier, tout ça à cause d’une saloperie de petite pilule bleue qui engraisse ces fachistes des labos pharmaceutiques qui nous manipulent sans prendre de gants. Bref, grâce au Viagra, à 72 ans Raymond redevient John Travolta dans ‘la fièvre du samedi soir’, le déhanché en moins. Et que je te prends par ci, Germaine, et que je te reprends par là. La Germaine n’avait plus connu ça depuis Mitterrand. Et voilà que c’était revenu, et pas que le samedi comme sous Mitterrand mais tous les soirs, voire deux fois par jour. Méconnaissable le Raymond, un vrai Émile Louis. Une catastrophe pour Germaine, de quoi ruiner toute une tuyauterie un peu hors d’âge et plus franchement aux normes européennes. Alors osons le dire: le Viagra est la cause principale de 9o% des divorces entres personnes âgées qui jusque là s’adoraient d’amor tendrissimo. On ne se rend pas compte des ravages du Progrès quand il se met à prendre la forme d’une pilule bleue gobée par Raymond Travolta, 72 ans. Une tragédie pour toutes les Germaine du monde, pour qui je vous demande de déboucher une bouteille et d’observer une minute d’abstinence sans aucune pensée lubrique si vous êtes capable de passer soixante secondes consécutives sans visualiser un truc qui dans notre enfance aurait mérité un carré blanc au bas de l’écran.
chpouk!
minute d’abstinence sans aucune pensée lubrique
(ah c’est dur, aux deux sens du terme, heureusement qu’on a un truc à licher pour faire diversion)
Bien. Rompez!
Nous avons vu que le vieillard fait la pluie et la pluie en politique. Nous avons vu que le vieillard est pété de blé planqué. Nous avons vu que le vieillard berlusconien baise à prostate rabattue. Et comme ‘politique’ + ‘fric’ + ‘cul’ = Pouvoir, les moins abrutis de nos amis les jeunes en tireront eux-mêmes des conclusions qu’ils pourront ensuite gaillardement s’enfoncer à l’endroit que la Nature leur a donné à cet effet. Mais ne soyez pas trop amers, vous les jeunes... la Révolution est en route, les vieillards seront un jour renversés, par vous... il vous suffit d’attendre quelques décennies pour obtenir gain de cause pendant quelques années —et ce sera toujours ça de pris, faut voir le bon côté des choses.
Voilà voilà, mes braves petits, notre étude sociologique sur les croulants est désormais achevée dans le strict respect des règles de la profession de chercheur qui trouve, quitte à devoir inventer un peu. Je vous remercie de votre attention, je suis fier de vous. Mes chers étudiants poil aux dents, mes chers étudiantes poil à la fen... heu... hum hum, pardon, j’avais oublié que de nos jours pléthore de jeunes filles se la jouent lisse pour le plus grand bonheur de l’action Gillette qui remplit les bourses de nos vieux boursicoteurs à la bave aux coins des lèvres quand arrive l’heure où les lycéennes sortent du lycée. Alors mes chers étudiant-e-s, je suis certain que vous aurez remarqué et apprécié mon tact et ma dignité universitaire dans le traitement infligé à nos amis les viocques —cette vigilance cognitive de tous les instants dont je peux me targuer de faire preuve en toutes circonstances, en obsédé que je suis du “tertium quid”. À aucun moment, reconnaissez-le, je ne me suis laissé dériver sur des sujets pour chercheur poussif, genre alzheimer, perte de motricité, anciens francs, impuissance, chute de dentier, incontinence, radotage, délire de persécution, sentiment d’inutilité sociale, toilette approximative, gémissements continuels, perte de repères spatio-temporels, oubli de son propre nom, cassage du col du fémur, etc. Ça, les vieillards, avec moi ils peuvent vibrer tranquille, ils sont à l’abri des coups bas. Car à l’heure où le nouveau conformisme consiste à prendre pour cible cette frange fragilisée de la population, il était évidemment exclu que je m’abaisse à de telles pratiques moralement indignes et méthodologiquement contestables, certaines exigences philosophiques et éthiques ne supportant pas le plus petit compromis. Jusqu’à mon dernier crachat de dernier bout de poumon à Bois-Joli vers 2o6o si tout va bien, je resterai le plus ferme défenseur de l’humanisme universel qui nous honore en tant qu’espèce, mes frères. C’est une question de principe. Nous ne serons jamais des hyènes subsahariennes —du moins je l’espère, c’est que je ne suis plus tout jeune non plus. Bien... Mes chers étudiant-e-s, vous pouvez vous lever et quitter l’amphithéâtre Julio Iglésias de l’université Fernand Raynaud IV, car je n’aurai point la cruauté de vous demander de rédiger sur le champ un résumé du contenu de cette conférence pédagogique —même ma perversion a ses limites.
Bonjour chez vous.
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Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu