Magazine Journal intime
Dernière escale
Publié le 15 août 2009 par AraucariaDocumentation trouvée sur le net (billet de 50 nafkas)
Je vais laisser Olivier Frébourg poursuivre ses voyages, parcourir toutes les mers du monde. Je vais l'envier aussi, parce qu'il est un homme et que même s'il n'est pas devenu marin, il a beaucoup navigué. Il l'écrivait dans Souviens-toi de Lisbonne : "Les hommes ont des voyages, les femmes ont des amants!" Finalement c'est la même chose, puisqu'il est courant de dire que les navigateurs (les voyageurs aussi) ont une femme dans chaque port.
Naturellement, Olivier Frébourg mettra le cap sur l'Asie, sur le Grand Nord, à nouveau sur l'Afrique, et encore sur Lisbonne et Buenos Aires. Il écrit d'ailleurs : "Il y a une histoire d'amour à Lisbonne et un coup de foudre pour Buenos Aires. Le fado et le tango sont nés dans des ports." Saudade, place du Marquis-de-Pombal, vinho verde, Pessoa, Henri le Navigateur, Sagres, le Tage... Et puis, le Café Tortoni de Buenos Aires, Borges, le cimetière de la Chacarrita où repose Carlos Gardel, le tango...
Toujours aussi cette fidélité à Nikos Kavvadias dont il se récite encore les mêmes vers...
"A jamais, je resterai l'amant idéal et indigne
des voyages lointains et des mers azur,
et je mourrai un soir semblable à tous les soirs
sans perdre la ligne trouble des horizons."
Un jour, je sais que je voyagerai avec Kavvadias. Il ne peut en être autrement. Je vais me laisser happer par ses poèmes de marin, et par son récit "Le Quart"...
Petite fille qui rêvait de mers, de navires et d'une carrière maritime, je me retrouve dans ces lignes d'Olivier Frébourg : "Jamais je ne serai marin. Myope, rétif au calcul des longitudes et des latitudes, j'ai tenté d'embarquer à seize ans comme pilotin sur un cargo mais les compagnies maritimes n'enrôlaient plus que des élèves de la marine marchande." Je n'ai même pas essayé d'embarquer... Pour ma génération c'était impossible, la marine était une histoire d'hommes... et puis, je n'aurais pas su non plus faire de savants calculs, pas myope cependant, j'aurais été encombrée par mes escarpins et tenues féminines. Cette vie, je l'ai rêvée et l'ai retrouvée dans quelques bons livres, dans des ports mythiques où j'ai embarqué clandestinement sur des bâtiments arborant des pavillons de tous les coins du monde et gravés à la poupe des navires, des ports d'attache : Panama, Valparaiso, La Valette, Limassol, Nassau, Jersey, Napoli....
J'ai souhaité parcourir des ports africains avec Olivier Frébourg... Je vais le quitter sur ce même continent... Je sais que je le relirai, que je serai fidèle à ses récits, à sa plume, à ses escapades...
Aujourd'hui, ultime rendez-vous. Cap sur Massawa!
"Les rues de Massawa n'ont pas changé depuis (le passage d'Arthur Rimbaud). Aucune incursion de la modernité. Indifférentes aux mésaventures d'Arthur, des femmes voilées passent encore aujourd'hui devant le moucharabieh, refuge des pigeons blancs. Je m'abandonne aux méandres de cette cité turque, arabe, italienne, ville rêvée pour Corto Maltese. Les rues de poussière sont recouvertes de milliers de capsules multicolores pareilles à des éclats de céramique. Je ne suis plus affligé de ce mouvement qui me taraude en voyage. Et dans ce pays ruiné, affamé par la guerre contre l' Ethiopie, je ressens une étonnante douceur de vivre. Je n'imaginais pas depuis Freetown qu'il existât encore des villes comme Massawa. Le port avec un beau cargo blanc, style bananier polyvalent, est représenté sur les billets de cinquante nafkas, à côté d'un dromadaire. Un bateau, un chameau. Avec cela, j'irai au bout du monde. A Massawa, pas de distributeur pour cartes de crédit, ni de téléphone portable. Et aucun touriste! (...)
Nous marchons avec Thomas, le photographe, sur la place principale recouverte de sable. Des fenêtres des maisons, des femmes me hèlent en tigrina, langue où j'ai de nombreuses lacunes. Ce que je prend au début pour un racolage insolite est une façon honnête de partager le meilleur café du monde.
- Viens, suis-moi! me dit Thomas.
Une petite rue latérale semblable aux autres. A peine approchons-nous d'une maison que je vois se révéler dans la pénombre une jeune fille coiffée d'un turban rouge. D'une beauté à couper le souffle. (...)
Salem insiste : elle veut que je m'asseye dans le seul fauteuil de la maison. Elle va acheter un cornet de café, revient aussitôt. Au-dessus du grand lit, une image du Christ, une croix. Erythrée, pays orthodoxe.
Salem verse son cornet de café sur une petite natte rouge, trie les grains, les pile dans un petit pot en terre cuite avant d'y verser l'eau bouillante. Voilà ce que le voyage m'aura donné de plus beau, ces moments presque religieux de partage, un café à Massawa, un thé dans la baie d'Along. La préparation dure près de trois quarts d'heure. Son mari fait son service militaire dans le Nord. Elle ne l'a pas revu depuis dix-huit mois. A ma place, Corto Maltese l'aurait emportée sur son bateau. Mais le mât brisé de notre voilier empêche toute velléité d'appareillage. En Afrique, les bateaux s'enlisent, les corps dansent."
Olivier Frébourg - Un homme à la mer - Folio n° 4526 -