Le grand écart d’une fête du cinéma en quête d’un nouveau souffle: la 62e édition du Festival international du film de Locarno s’achève aujourd’hui. Profuse, passionnante et conviviale, mais sans grandes révélations, sur fond de mal-être mondial… et bernois. Révérence à Frédéric Maire…
« Cette fois nous n’aurons pas droit à l’erreur », déclarait Frédéric Maire à 24Heures en présentant la quatrième et dernière édition dont il aura assumé la direction artistique depuis 2006, avant de reprendre celle de la Cinémathèque suisse en octobre prochain. Chaleureusement applaudi chaque fois qu’il présente un film au public, sur la Piazza Grande ou en salle, le polyglotte à dégaine d’amical plantigrade aura marqué son «règne» en acclimatant des goûts parfois opposés, en 2009 plus que jamais. L’image du zizanique Pippo Delbono, invité d’honneur, assistant à la parade du Pokémon Pikatchu, sifflé par les « purs » de la Piazza, résume bien le grand écart récurrent de la programmation, dont les «erreurs» ont été discutées.
Inégale Piazza…
Sur la Piazza Grande, souvent dite la plus belle salle de projection du monde, le (plaisant) film d’ouverture, (500) Days of Summer de Marc Webb, autant que la nuit des mangas (public clairsemé) ou La valle delle ombre, du réalisateur tessinois Mihaly Györki cafouillant un peu dans le folk helvético-fantastique, ont été les plus critiqués. Mais le lieu a fait le plein la plupart du temps, sauf deux soirs de furieuse pluie…
Côté compétition internationale, la sélection a révélé des films souvent «plombés » par un mal-être mondial, mais ce reflet de la création contemporaine peut-il être imputé au Festival ? La prédominance des films-témoins, au détriment de fictions novatrices, est pourtant un fait. Par ailleurs, la compétition des Cinéastes du Présent et des Léopards de demain (courts métrages de la relève) ne cesse de gagner du terrain de manière significative. Dans un cas comme dans l’autre, cette fenêtre sur la création internationale échappant aux standards du succès commercial est intéressante pour les réalisateurs autant que pour le public curieux, qui a découvert en outre, cette année, le monde foisonnant des mangas.
Dans l’esprit de Locarno
Si certains choix de Frédéric Maire et de son équipe peuvent se discuter, ce qu’on a dit « l’esprit de Locarno », rappelé à l’ouverture par le Président Marco Solari, a été globalement défendu au fil de cette 62e édition, dont les salles pleines sont le meilleur « juge ».
Or le public de Locarno devrait, lui aussi, mériter un Léopard collectif. Ni consommateur moutonnier ni sectaire intellocrate, il fait de ce festival une manifestation à part. Locarno ne sera jamais Cannes, et l’impatience de Nicolas Bideau devant son manque de « glamour » fait déjà figure de fantasme dépassé, alors même qu’on peut se réjouir de l’attention nouvelle portée à la manifestation via le Prix Variety Piazza Grande décerné depuis l’an passé par la prestigieuse revue américaine…
À ce soir le palmarès. À demain le prochain (re)bond du léopard, au goût d’Olivier Père…
À en croire Jean-Frédéric Jauslin, chef de l’Office fédéral de la culture et chaperon de Nicolas Bideau, lui-même chaperonné par Pascal Couchepin, le cinéma suisse se pterait bien. Le producteur lausannois Robert Boner, grand routard de la profession et en guerre contre Monsieur Cinéma, est beaucoup moins optimiste. Malgré le pitoyable spectacle de ces bisbilles, nous aurons découvert quelques bons films suisses à Locarno. Sur la Piazza Grande, ce fut le nouvel opus de Christoph Schaub, Giulia’s Verschwinden, comédie tendre et drôle d’écriture un peu lisse mais servie par un dialogue magistral de Martin Suter et d’excellents interprètes. «Populaire de qualité »... Et Complices, le premier long métrage de Frédéric Mermoud, seul en compétition, satisfait à la même formule simplette dans le genre polar, avec une forme plus originale et un regard plus aigu sur les dérives de jeunes desperados. Autre réalisation largement reconnue, et gratifiée du Prix de la presse tessinoise : The Marsdreamers de Richard Dindo, maître lui aussi de l’ancienne garde qui a dû passer un véritable examen de débutant, à Berne, avant d’obtenir une aide pour ce flamboyant documentaire… Mais oui, le cinéma suisse existe, grâce surtout à ses créateurs…
Un léopard d’or couronnant un film que le public ne verra pas a-t-il un sens ? C’est la question qui a été posée à propos des deux derniers lauréats de la compétition internationale. Or peut-on sortir, en 2009, de cette difficulté ? Ce serait possible avec une comédie irrésistible, à la fois truculente et très subtile dans son observation, de la xénophobie ordinaire engendrée par les mélanges de population : Akadimia Platonos, de Filippos Tsitos. Dans un quartier populaire athénien, quelques glandeurs quadras et quinquas distillent leur venin contre les Albanais du coin, tandis que les Chinois colonisent la place. Et voici que Stavros, aussi chauvin grec qu’amateur de rock, apprend que sa vieille mère parle l’albanais et qu’il a un frère, lui aussi amateur de rock… Proche du premier Kusturica et de Stephen Frears ou Ken Loach, avec un regard très pénétrant et subtil, Filippos Tsitos a conquis le public. Côté Cinéastes du présent, Piombo fuso de Stefano Savona, conjuguant reportage et création, a également impressionné par sa ressaisie de la tragédie de Gaza vécue du coté des civils immolés. Enfin, au nombre des courts métrages, nous aurons relevé le magnifique Love in vain du Finnois Mikko Myllyahti, et le poème cinématographique déchirant de l’Argentin Igor Galuk, dans Tuneles en el Rio. Verdict ce soir sur la Piazza Grande…