Mondes #1

Publié le 17 août 2009 par Didier T.

Aujourd'hui tout est mort.

Il n’y paraît rien pour vous, autres peuples, mais c’est une évidence pour nous.
Dans les faits, en pratique, tout est vraiment mort.
D’une mort nerveuse, plaque d’eczéma zonant nos mondes.
Pourritures sèches des mondes que nous habitons - nous ne les habiterons plus longtemps.
Fondations molles, architectures high-tech, ossatures hyper-oxydées.
Déjà au passé, hors des mondes qui les ont engendrées.
A jamais oubliées.
A oublier, pour toujours.
Nous aimerions tant que les choses soient autres.
Mais il n’est pas possible de changer ce qui a eu lieu et temps. Pas dans ces mondes-là, même si lieux et temps identiques existent dans d’autres mondes, où l’effacement est une des dimensions internes possibles.
Ces lignes même n’existent pas ou plus, selon l’angle d’approche.
Oublier, tel est désormais notre seul destinée, notre unique possible. Nous n’avons besoin de rien d’autre pour vivre ou respirer. Cette seule volonté de mettre en oubli les anciens mondes suffira à nous donner raison de vivre. Sens d’existence, si nous désespérions d’en avoir un.
Tout au long de cette nouvelle ère de l’oubli, nos armes ne seront pas visibles. Nul ne pourra les voir, ni en deviner leur force.
Toute épouvante sera proscrite.
Etant entendu qu’apercevoir, sentir, discerner nos armes revient à déclencher l’épouvante, il nous sera interdit de les sortir de leurs caches. Nous savons, bien sûr, que leur efficacité ne nécessite nullement de les exhiber.
Nos vies seront ordonnancées comme le sont nos morts.
Chaque mort, chaque âme, chaque potentiel vital devra être quadrillé de la façon la plus rationnelle, dans chacune des dimensions de nos mondes, dans le respect du cadre en vigueur, de sorte que la somme de toutes les unités basiques obtenues soit égale à une portion d’oubli équimoléculaire.
Qu’elle soit liquide, solide ou gazeuse, l’unité basique ainsi obtenue par le quadrillage multidimensionnel représentera le plus petit dénominateur commun, et deviendra la référence universelle de notre nouvelle société oubliante, le maître-étalon des évanescences à venir, des siècles nébuleux que nous nous apprêtons à créer.

Pour toujours, dans une éternité sans joie, sans mal, neutre en tout, marchant à rebours et sans couleurs, vers notre lointaine genèse, d’un pas métronomé et silencieux, nous baissons la tête, serrons les mâchoires et traçons le long sillon terne et terreux, usant de notre droit de passage en terres d'oubli.

V#V
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