Les yeux et les papiers

Photo : Le mur, Henri Cartier-Bresson
Je ne sais pas comment ça se passe chez vous, mais moi, en ce moment, j’ai du mal à lire et à écrire.
J’ai du mal à avancer de façon générale.
Ca craint bien.
Vous savez que mon départ pour l’est du monde se précise, se précise, se précise dangereusement.
Et, j’ai peur.
La nuit, j’ai des céphalées, des diarrhées et des vomissements. J’ai aussi des plaques rouges sur les bras, les jambes et sur le dos.
J’ai de gros cernes sous les yeux. Je ne me maquille plus jamais. Et j’oublie régulièrement la crème protectrice contre le soleil.
Peut-être devrai-je différer mon départ pour cause de cancer de la peau ?
Oui, j’ai peur.
***
Le mois dernier, une nuit, je suis sortie à la Favela chic et ailleurs aussi, je ne sais plus trop où, j’avais un peu bu de la vodka et j’étais fatiguée, je suis rentrée chez moi à 9 heures du matin en faisant à pieds Bastille-les Abbesses, je pensais que ça allait m’oxygéner le cerveau. A République, près de la Bourse du travail, là où les gros bras de la CGT ont dégagé les sans-papiers, j’ai croisé le regard d’un africain, quelle nationalité je ne sais pas, mais un africain c’est sûr, il devait travailler dans les travaux publics, il avait son casque posé à côté de lui sur le trottoir, il se lavait avec l’eau claire du caniveau et un sceau. J’ai croisé son regard luisant et…depuis je pense souvent à lui. Bientôt je me retrouverai ainsi, sans papiers, à l’est du monde, avec mon casque et mon sceau. 
J’aurais peut-être, moi aussi, les yeux luisants, le regard aiguisé.
Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu