Il est des chagrins qu’on croit naïvement avoir muselé au cours des années, alors qu’il puisent impunément dans une envolée de musique, une senteur ou un paysage de quoi à nouveau nous parler.
Il est des chagrins qu’on pense avoir terrassé alors qu’on a juste essayé de les ignorer.
Des chagrins qu’on croit pouvoir adoucir, alors qu’ils ne seront jamais que rugosité…
On veut croire que pour leur survivre il suffit de les mettre de côté, qu’en niant leur existence ils se dissoudront progressivement jusqu’à n’être parfois qu’une légère brume de tristesse posée sur notre bien-être retrouvé…
On veut croire que le Temps les atténue, que nos larmes les usent…
On croit pouvoir vivre sans eux mais ils ne peuvent vivre sans nous…Et s’ils nous sentent leur échapper ils s’empressent de nous culpabiliser et c’est ainsi qu’on hésite à redevenir heureux sans eux…
Et puis, comme si ça n’était pas assez, il faut aussi supporter l’incontinence verbale et le regard décalé de ceux qui n’en ont pas encore connu de vrais, de tous ceux qui de loin savent mieux que nous ce que c’est que d’avoir du chagrin ! Il faut côtoyer ceux qui, sous prétexte de nous être attachés, s’ arrogent le droit de nous juger, ceux qui, à notre place, auraient fait beaucoup mieux…
Ceux devant lesquels on se surprend à se justifier…
Ceux qui nous trouvent bonne mine et s’en affligent, ceux qui s’offusquent à l’ idée qu’on ait « déjà » pu oublier…
Ceux qui ne vous écoutent pas, qui se servent de votre chagrin comme d’un tremplin pour mieux évoquer leur propre quotidien…
Les mêmes s’étonnent de nous voir survivre et aller de mieux en mieux pour plus tard nous reprocher de n’être pas au diapason quand pour eux il serait grand temps d’aller bien…
Que savent-ils de l’énergie que nous mettons à tenir debout ? Un sourire peut être le seul moyen de ne pas faiblir. Il n’est plus jamais question de s’attendrir ou de trop s’ appesantir sur nos états d’âme. Si l’on se concède une larme, ce peut devenir un torrent en un instant… Alors on s’évite la noyade… On prend assez vite l’habitude de faire bonne figure, et bientôt les gens oublient, c’est bien normal… S’ils sont un peu agacés par notre « courage », ils ne supporteraient pas de nous entendre nous plaindre… L’empathie a ses limites !
Il est des chagrins que l’on croit appartenant au Passé alors qu’ ils sont tapis au détours de nos vies, et derrière nos apparente sérénité personne n’en soupçonne la douloureuse et ineffaçable présence …