Le deuxième roman de Noëlle Revaz, Efina, est une merveille.
Dire que le deuxième roman de Noëlle Revaz, sept ans après Rapport aux bêtes, est captivant, pourrait sembler une formule convenue, mais c’est un fait : Efina vous captive, Efina vous fascine même d’entrée de jeu, ce roman-sparadrap (par allusion à Tintin qui n’arrive pas à se débarrasser du foutu sparadrap qui lui colle aux semelles) est immédiatement passionnant par sa façon de vous attirer et de vous repousser, comme les deux protagonistes sont irrépressiblement attirés l’un vers l’autre et repoussés par un désir qui se nie et se multiplie à l’instant de se jurer que cette fois c’est bien fini, et ni.
Efina est l’histoire d’une obsession mimétique qui se transforme en amour plus profond que l’amour qu’il y a trop souvent dans les livres ou sur les scènes de théâtre, exaltation factice. Le roman commence sur les retrouvailles de deux personnages : Efina, qui n’est rien qu’Efina, trentenaire passionnée de théâtre à ses heures, et T., comédien fameux et bientôt vieillissant. Après s’être revus une seconde au théâtre, Efina et T. s’écrivent des lettres qui ne partiront jamais. Tout au long du roman, ils ne cesseront d’ailleurs de s’écrire des lettres, qui arriveront parfois, parfois seront anonymes, souvent diront le vrai, souvent le faux qui parfois est moins faux que le vrai.
Efina est un formidable roman de la passion mimétique, telle que l’a décrite René Girard dans Mensonge romantique et vérité romanesque. Mais Efina n’est pas l’illustration d’une théorie : c’est la vie même. Efina croit qu’elle aime T. mais c’est peut-être une illusion. Elle lui écrit pour lui dire qu’au fond il ne compte pas pour elle, et c’est là que la passion repique. Même topo pour T. Efina et T. ne coucheront pas avant 40 pages, mais ça n’arrangera pas vraiment les choses, car leur amour est ailleurs.
L’amour d’Efina et de T. est tissé par des siècles d’attente d’amour. T. est marié et saute des tas de femmes, Efina rencontre des hommes plus gentils que T. et s’essaie à la maternité. Mais c’est comme au théâtre, entre cœur et jardins publics : ce qui s’y passe, c’est surtout que le temps passe et vous fait des rides au coeur.
Or ce qui ne vieillit pas, dans Efina, c’est l’écriture de Noëlle Revaz. Curieusement maniérée au tout début, elle s’affûte de magistrale façon au fil des pages et devient une joyeuse cavalcade de mots qui font la pige au mensonge romantique pour accéder à la vérité romanesque. Et c’est très drôle, très affreusement juste et drôle, humoristique comme la vie quand elle tombe le masque. Bonheur de lire un vrai roman qui dit le faux pour mieux exprimer le vrai, jusqu’à cette dernière phrase ailée : « Le cimetière est la maison des oiseaux »…