Magazine Journal intime

Les déchirés de la vie

Publié le 09 octobre 2007 par Stella

Je sors de l’hôpital Sainte-Anne, fameux établissement psychiatrique parisien, où je suis allée récupérer une amie qui s’y faisait soigner depuis une quinzaine de jours. Hôpital psychiatrique… Un terme ambigu, surtout pour quelqu’un qui a bien connu le système soviétique d’avant la Perestroïka. Mais il convient de n’avoir pas de jugement hâtif. Mon amie Sonia* y fait des séjours réguliers.

Je suis donc allée la chercher… Petit pavillon au milieu d’un jardin frais comme un jour d’automne. Chambres immaculées, austères et impersonnelles, aux portes dotées de hublots qui permettent au personnel de jeter un coup d’oeil sur les pensionnaires et enlèvent à ces derniers toute intimité. Mais, somme toute, il n’y a là rien que de très ordinaire. Pourtant, des murs suintent une inexpressible souffrance, un gémissementi virtuel, l’expression étrange et presque palpable d’un indicible malaise.

Il y a là Colette, la petite cinquantaine. Elle parle peu mais, dans ses yeux, passe un lourd nuage. Elle dit au revoir à Sonia et j’ai brusquement l’impression qu’elle est comme un condamné dans le couloir de la mort, qui voit partir un camarade. Pourquoi est-elle là ? Nul ne le sait, sauf ses médecins. Elle se rasseoit en silence, laissant la place à la jeune Stéphanie, 20 ans, hospitalisée à la demande de ses parents pour toxicomanie. Cocaïne. Elle est sevrée et s’est démenée pour se trouver une place dans une école de communication, condition sine qua non à sa sortie. Brunette aux longs cheveux bouclés, elle me dit “bonjour madame” et “au revoir madame” avec une touchante politesse, enfantine, me renvoyant sans y prendre garde à mon tailleur gris un peu strict et mes cheveux poivre-et-sel. Je pense à ma petite Laetitia. Elle aussi est venue à l’hôpital Sainte-Anne après une tentative de suicide due à la toxicomanie. Je n’ai pas su l’en sortir. J’ai un brusque élan d’empathie pour Stéphanie, qui serre convulsivement Sonia dans ses bras, comme si elle en était responsable, comme si Sonia s’en allait au-devant de grands périls. J’ai la fulgurante impression qu’est dans un bateau qui fait naufrage, je la vois faire partir Sonia à sa place dans la chaloupe. Elle préfère rester, laisser les autres tenter leur chance. Mourir ne lui fait pas peur. N’est-elle pas déjà un peu morte ?

La porte s’ouvre lentement pour laisser place à Consuela. Elle est la fille d’un musicien célèbre. Le film se déroule au ralenti, tant les gestes de Consuela sont lents. Plus personne ne parle, comme par respect. Elle, assomée par les neuroleptiques, demande une cigarette et se met à fumer, lentement, le regard vide. Elle s’est auto-mutilée à plusieurs reprises. Aujourd’hui, elle fait les gestes de tous les jours, les mercis et les au-revoirs, mais existe-t-elle vraiment en-deça de son corps ? Elle ressemble à une forteresse vide, son âme erre le long de corridors déserts, à la recherche de souvenirs envolés.

Un dernier mot pour François, réscapé de la vodka, dont il absorbait jusqu’à trois bouteilles par jour. Pour quoi ? Pour oublier… Oublier qu’il boit. Mince comme un coucou, survolté, toujours en mouvement, en parole, il noit maintenant son stress dans l’activité. Bouge beaucoup, dort peu, parle énormément, connaît tout le monde, tout le personnel, les médecins, les pensionnaires. Il s’occupe de tout et de tous, a une volonté extraordinaire de réinsérer ses camarades alors que lui… lui… Plus de travail, plus d’amis, plus rien.

Ces déchirés de la vie me font mal. J’ai l’impression qu’ils sont comme autant d’autres moi-même auxquels j’ai échappé, ce que je ne suis pas.

Une fois n’est pas coutume : j’ai changé tous les prénoms.


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