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Espas Ayisyen Toulouse

Publié le 14 octobre 2006 par 509
Espas Ayisyen Toulouse
SUR L’APPROPRIATION DE LA RACE EN HAÏTI / La rupture épistémologique de Jean Price-Mars Par Michel ACACIA
Depuis toujours (depuis de Vastey), l’intelligentsia haïtienne, prennant ainsi le contre-pied du racisme blanc, a pensé l’égalité des races et, pendant longtemps, elle a posé Haïti comme le modèle, la référence, l’illustration de cette égalité. Les races prennent le contour suivant : Elles sont blanche et noire. La race noire avait confirmé, par le fait de la Révolution haïtienne, son égalité dans la liberté. Mais aussi, par ses juristes et hommes et femmes de lettres, Haïti administrait la preuve de l’aptitude des Noirs à manipuler des notions abstraites, indice d’une transcendance que l’on ne retrouve pas chez des sous-hommes.Tout n’était pas égal dans cette égalité. L’Afrique demeurait à la traine. C’est à Haïti qu’il incombait de réhabiliter la race noire, comme de fait elle l’a réhabilitée, disent avec pompe Hannibal Price, Louis-Joseph Janvier et Anténor Firmin. L’on soupçonne l’ethnocentrisme : Les Noirs sont égaux aux Blancs ; les Haïtiens sont plus égaux que les autres Noirs. À la limite, la subordination des Noirs Africains n’est pas congénitale ; elle est conjoncturelle.L’on peut contextualiser cette idéologie de la race. Le XIXe siècle, en Europe, a été le siècle du racisme scientifique. Tout l’arsenal des procédés scientifiques avait été mis à contribution en vue de signifier une différence de nature entre les Blancs et les Noirs. L’on comprend qu’un Firmin épris de science emprunte le même cheminement, mais pour attester l’égalité que refusent à la race noire les Gobineau et d’autres penseurs Européens moins talentueux. Et, pour donner le change, il est amené à faire étalage de la production d’un échantillon d’intellectuels et de professionnels Haïtiens. Ceux-ci font office de representation de la race noire.La démarche de Price-Mars est autre. Il n’estime pas avoir à prouver l’égalité des races –, tout-au-moins à partir d’Ainsi parla L’Oncle (1928). Pour sûr, le postulat de l’inégalité l’agace et il réagit contre par moments. Mais, pour l’essentiel, il flagelle le bovarysme de l’élite : Lequel des membres de cette élite, s’interroge t-il, « n’eut mieux aimé qu’on lui trouve quelque ressemblance avec un Esquimeau, un Samoyède ou un Tougouze plutot que de lui rappeler son origine guinéenne ou soudanaise »? Il met ainsi à nu l’ambivalence caractéristique de l’appropriation de la race par les membres de l’élite : s’assumer comme membre de la race noire et contempler, à travers la succession des générations, une proximité phénotypique avec le type blanc. Et il va plus loin, jusqu’à dire : « Nous n’avons de chance d’être nous-mêmes que si nous ne répudions aucune part de l’héritage ancestral ».C’est tout un programme, un ébranlement de l’ordre de la pensée, une rupture épistémologique. Il fallait impérativement sortir de l’ethnocentrisme, générateur d’un bovarysme stérile alimenté par une fausse représentation de soi-même. Effectuer un retour symbolique vers l’Afrique. Puiser dans le vieux fonds Africain et se dire : « Il n’y a rien de laid dans la maison de mon père ».Par quoi Senghor,en 1956, reconnait en Price-Mars le père de la Négritude.

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