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Bouc émissaire au lieu d’un roi-dieuPatrice DumontZinedin...

Publié le 22 juillet 2006 par 509


Bouc émissaire au lieu d’un roi-dieu
Patrice Dumont
Zinedine Zidane, cinq jours après une finale de Coupe du monde perdue, et au cours de laquelle il a été expulsé pour violence sur Materazzi, a réussi à cause même du geste violent et l’expulsion qui s’est ensuivie, l’inédit exploit de concentrer sur sa personne l’attention de la majorité des salles de rédaction du monde entier. Et ce n’est pas fini, puisque la Fifa a ouvert une enquête sur ce qui sera « l’Affaire de la Coupe du monde 2006 » au même titre, et peut-être plus encore, que le dopage de Maradona aux USA en 1994.
Une version des faits de Zidane, qui sera transmise à Materazzi pour réponse, est attendue à la Fifa le 18 juillet. Deux jours après, les deux hommes seront entendus et confrontés à Zurich par le comité disciplinaire. Pour mémoire, et à titre comparatif, rappelons qu’en 1990, Ryjkard avait craché au visage de Voeller, comme d’ailleurs Totti sur le Danois Poulsen en 2002. L’Argentin Ortega cogna aussi, de la tête, le visage de Vander Sar, le portier hollandais lors d’un quart de finale en 1998. Au cours d’Allemagne 2006, De Rossi qui avait ensanglanté le visage de l’Américain Mc Bride, eut quatre matchs de suspension, sans plus. Le Néerlandais Bolahrouz laboura la cuisse de Cristiano Ronaldo, qui dut laisser le terrain. À l’exception de ce dernier cas, expulsions et désapprobation générale mais pas d’affaire du genre Materazzi-Zidane qui fait aujourd’hui les délices de toutes les conversations et l’objet de réflexions psychologiques les plus pointues.Cela doit bien avoir une explication.
À remarquer que malgré les images de la télévision qui montrent clairement l’Italien en train d’agresser verbalement le Français qui réagit brutalement, on ne parlera d’affaire Zidane-Materazzi que par souci de la vérité, comme on cite Jean-Claude Louissaint par préoccupation humanitaire quand on parle de l’assassinat de Jean Dominique. Zidane est ici, de fort loin, l’acteur principal, et ce n’est pas parce que son geste est le plus spectaculaire mais bien parce qu’il s’agit précisément de Zidane.
Or, de tous les raccourcis qu’on peut faire de l’histoire de l’humanité, le besoin de bouc émissaire et de son contraire, un roi-dieu, est le plus saisissant. Icône de la mode plus apte à rassembler autour de lui, les groupies envieuses de Victoria, son épouse, que de soulever l’admiration des fans et journalistes de foot, Beckam ne comptait pas. Ronaldo est arrivé gros comme un ours : on regretta presque qu’il battît le record de meilleur buteur de l’histoire de la Coupe du monde ( 15 buts ). Tevez et Messi ne rentraient pas dans les plans de leur entraîneur. Riquelme manque de couleur. Ronaldinho, qui devait être confirmé sur le trône, passa à côté du tournoi. Restait Zidane, le seul « ballondorisable ».
Très grand footballeur, le Français est l’auteur du pari le plus osé de toute l’histoire du football. Il ne lui manquait que dix minutes, et peut-être le temps de réussir son tir au but et de porter ses partenaires à en faire de même pour le gagner.
La France, lors des éliminatoires, battait de l’aile à quelques encablures. Alors que, en désaccord avec la FHF sur le choix de Domenech après la débâcle de l’Euro 2004 au Portugal, il avait annoncé sa retraite internationale, il retourna sur sa décision et, aidé de Makelele et Thuram, qu’il avait convaincus de retourner aussi en équipe de France, qualifia celle-ci.
Entre-temps, sentant venir sa fin, il fit ses adieux au Real en même temps qu’il annonça que son dernier match officiel sera sous le maillot de la France en Coupe du monde. Tout le monde a traduit qu’il rêve de terminer la Coupe du monde brandie par ses bras dans le ciel de Berlin. Pour tout autre footballeur, on crierait à la fanfaronnade. Malgré son âge (34 ans), sa saison au Real, mitigée et une vieillesse qui s’annonce précoce, personne ne cria à la folie mais on fut sceptique et on attendit la belle histoire. Maradona tenta un comeback au même âge en 1994 mais chargé d’éphédrine, produit interdit. On connaît la suite.
Le monde entier, orphelin de Ronaldinho, dont Zidane pâlit totalement l’immense talent lors de France-Brésil, à la recherche d’un dieu et excité à l’idée d’être témoin d’un authentique exploit, comme les spectateurs d’un record du monde, se laissa prendre au jeu, souhaitant de tout cœur, au moins, le succès personnel du Français, entendons par là la réalisation d’une grande finale.
C’était fait grâce, encore une fois à ses jambes-tentacules, sa grande science du jeu, des actions individuelles et collectives. Et puis…la 110e minute, un coup de boule au plexus solaire de Materazzi, un regard hébété, le carton rouge d’Elizondo, sa sortie tête basse, son passage à côté du trophée vers lequel il n’ose même pas jeter un petit regard, les escaliers menant aux vestiaires qui font penser à une descente aux enfers réelle…
Il n’est pas le premier footballeur insulté sur un terrain. Pourquoi a-t-il ainsi réagi ? Ce n’est pas à cette question que nous souhaitions répondre. Peut-être une prochaine fois.
Mais nous savons pourquoi ces insultes et ce coup de boule sont une affaire : le monde était à la recherche d’un dieu ; il n’a trouvé qu’un bouc émissaire.


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