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Simenon : un écrivain hors du commun (6)

Publié le 25 août 2009 par Mazet

En 1952, Georges Simenon décide de faire un voyage en Europe : ce sera une tournée triomphale à Paris où il est reçu partout et notamment au siège de la Police judiciaire, 36 quai des Orfèvres . Pierre Assouline raconte cette visite dans sa biographie de Georges Simenon :

"18 avril . Réception officielle au 36, quai des Orfèvres, le siège de la Police judiciaire, avec un grand déjeuner à la clef. L’écrivain est accueilli par le préfet, des commissaires et des inspecteurs comme s’il était de la famille. Visite des locaux. Odeurs, couleurs, ambiance. Il se croirait dans ses romans. A ceci près que ses différents " modèles " de Maigret sont à la retraite ; quant au poêle que son héros aimait tisonner, il a été remplacé par le chauffage central. Au moment du départ, remise solennelle d’une plaque de commissaire n° 0000 au nom de Maigret . Simenon en fera un porte-clefs. Surpris une fois en flagrant délit d’excès de vitesse, il s’en servira pour se débarrasser des gendarmes... "

 (Pierre ASSOULINE, Simenon, biographie, Julliard, 1992, p. 437)

Au mois de mai 1952, Georges Simenon se rend dans sa ville natale de Liège. Il préfère arriver un jour à l’avance pour voir sa mère seul. Le lendemain, le romancier traverse son quartier d’Outremeuse escorté par une meute de journalistes, puis est reçu par son ancien directeur à la Gazette de Liége et enfin le soir par les autorités municipales. Georges Simenon est donc accueilli en héros dans sa ville mais il y a quelques ombres au tableau. Ce sont d’abord les tracasseries judiciaires qui font suite à la publication de Pedigree : depuis la parution en 1948 de ce " roman " fortement autobiographique, plusieurs de ses compatriotes se reconnaissent dans l’un des personnages et lui intentent un procès. La confrontation avec les plaignants et d’une manière générale avec toutes les personnes qui cherchent à obtenir facilement un peu d’argent l’incite à ne pas prolonger son séjour à Liège.

La troisième étape importante du voyage de 1952 est pour Bruxelles : ses compatriotes lui offrent en effet d’être membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Simenon accepte ce fauteuil et prononce un discours devant les académiciens belges et de nombreux invités français comme Marcel Pagnol, Pierre Benoit ou Georges Duhamel... Après cette élection, le romancier regagne assez rapidement Paris où il retrouve de vieux amis avec lesquels il se sent beaucoup plus à l’aise... Simenon a été flatté par cet honneur mais n’a jamais été très à l’aise dans le milieu des belles-lettres...

Retour en Europe

   La naissance de Marie-Jo le 23 février 1953 est encore un moment de bonheur pour cet homme qui a toujours rêvé d’avoir une fille alors que l’ambiance familiale se dégrade progressivement. Deux ans plus tard, Simenon décide de rentrer définitivement en Europe, presque sur un coup de tête. Au printemps 1955, Simenon débarque ainsi en France mais n’envisage plus de vivre à nouveau à Paris, la capitale ayant à ses yeux perdu tous ses charmes. C’est dans le midi de la France, à Mougins, puis sur les hauteurs de Cannes qu’il pose ses valises. Les lieux sont agréables, le climat idéal, mais il ne se sent pas prêt à s’installer pour longtemps ; dans la villa de Golden Gate, il écrit cependant plusieurs " romans durs " comme En cas de malheur ou Le Fils, et deux Maigret.

Dans cette villa de rêve, tout devrait aller pour le mieux. Ce n’est pas le cas, depuis les premiers troubles psychologiques de Denyse, mais aussi les problèmes d’alcoolisme du couple : le romancier a besoin de la boisson comme stimulant lorsqu’il écrit ; quant à Denyse, il semble que ce soit pour accompagner son mari. Toujours est-il que Simenon se montre parfois très violent, même s’il peut éviter de boire pendant des périodes relativement longues. En outre, Denyse l’aide souvent à satisfaire son appétit sexuel en lui amenant des filles. Si l’intéressée dément par la suite cette pratique, Fenton Bresler a retrouvé le médecin et ami de la famille qui confirme les dires de Simenon (Bresler, p. 263).

A la fin du printemps 1957, après deux années passées en France, le romancier cherche un nouveau refuge. Ce sera la Suisse, un pays tranquille, mais aussi un paradis fiscal ! En sillonnant le canton de Vaud au volant de son cabriolet Mercedes, il découvre le château d’Echandens à une vingtaine de kilomètres de Lausanne. La situation de cette propriété lui semble idéale, en outre c’est un canton francophone : il signe immédiatement un bail de six ans renouvelable. Dans ce château du XVIe siècle, il écrit à la fois des " romans durs " et des Maigret, ces derniers se vendant deux ou trois fois plus que sa production " littéraire ".  

Ces années passées à Echandens ne sont pas particulièrement heureuses, malgré la naissance de Pierre le 26 mai 1959, son troisième enfant avec Denise. En effet, les ennuis de santé sont de plus en plus fréquents (syndrome de Ménière, névralgies, insomnies…), mais aussi ses relations conjugales de plus en plus houleuses. En 1960, il ressent le besoin de renouer avec le genre autobiographique alors qu’il commence à déprimer sérieusement : ce sera Quand j’étais vieux, sorte de journal intime, publié dix ans après à la demande du critique Bernard de Fallois. Côté cinéma, les adaptations sont nombreuses pendant cette période : Claude Autant-Lara réalise En cas de malheur avec le couple insolite Gabin-Bardot et Jean Delannoy met en scène L’Affaire Saint-Fiacre avec le même Jean Gabin qui restera un Maigret très crédible. Cette même année 1960, Simenon se voit même confier la présidence du festival de Cannes, c’est dire que l’homme est courtisé par les médias.

C’est aussi l’époque où Simenon se passionne pour les ouvrages psychiatriques et pour la médecine en général. Depuis longtemps il a eu des médecins pour amis, et dans son oeuvre ces derniers sont nombreux. Même dans la série des Maigret, on retrouve souvent le docteur Pardon, ami personnel du commissaire. Mais sans doute à cause de ses ennuis de santé personnels et surtout les crises de Denyse de plus en plus fréquentes, les relations avec les membres du corps médical vont être beaucoup plus suivies…

Une nouvelle fois, comme pour signifier qu’une page doit être tournée, Simenon décide de déménager. Le château du XVIe siècle a perdu ses charmes, mais pas la région. Il va donc faire construire une maison pour la première fois de sa vie, donnant aux architectes toutes les directives pour bâtir ce qui deviendra le symbole de la démesure simenonienne pour les journalistes du monde entier. La villa est située à Epalinges, non loin de Lausanne, sur les hauteurs du lac Léman. Le site est agréable, mais la bâtisse se révélera peu élégante lorsqu’elle sort de terre fin 1963. Le nombre de pièces impressionnera les visiteurs — journalistes pour la plupart — mais c’est surtout le fameux " bloc opératoire " qui fera couler beaucoup d’encre : ce dernier se révèle n’être qu’une simple infirmerie avec une table de massage, mais la légende a une fois de plus pris le pas sur la réalité !

   L’emménagement dans la nouvelle maison ne résout pourtant aucun problème de fond. Les séjours de Denyse en clinique psychiatrique sont de plus en plus fréquents et Simenon cherche à présent à l’éloigner de ses enfants. Déjà, celle qui a régné pendant des années sur l’entreprise Simenon est remplacée par de simples secrétaires. En 1964, elle quitte définitivement Epalinges, alternant les séjours en clinique et différents lieux de villégiature en France. A cette époque, une autre femme entre discrètement dans la vie du romancier : au service des Simenon depuis décembre 1961 comme femme de chambre, Teresa est italienne et deviendra la dernière compagne du romancier. Pendant ces années passées à Epalinges, il reçoit aussi la visite de sa mère âgée de 85 ans : les rapports entre ces deux forts tempéraments sont toujours aussi difficiles, même en l’absence de Denyse. Il retournera la voir à Liège en avril 1969, puis en décembre 1970 alors qu’elle agonise à l’hôpital de Bavière, là même où Simenon servait la messe pendant son enfance. Quatre ans plus tard, il publiera Lettre à ma mère, un livre-témoignage inclassable dans lequel il essaye de comprendre ce que furent ces relations mère-fils tout au long de sa vie.


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