Lettre à mon tout petit

Publié le 26 août 2009 par Kranzler


Cher petit,

 

Comme tu le sais vraisemblablement, je repense souvent à toi. Enfin, là où tu es, je ne sais pas si on sait ces choses-là – alors admettons, pourquoi pas.

 

Tu te rappelles ? Autant à la fois, je n’en avais encore jamais vu avant ce jour-là car je n’étais encore jamais entré dans un magasin d’animaux. Je pense me souvenir que vous étiez environ une quarantaine, mal réveillés, lovés les uns contre les autres, un bel écheveau tiède, paisible. Il y en avait des gris, des beiges et des blancs, et alors que j’avais a priori dans l’idée qu’il ne serait pas simple de choisir, il y en a un qui tout se suite a attiré mon attention : un souriceau mâle à dominante marron glacé avec au niveau du bassin une large bande blanche qui me faisait penser à une petite culotte ravissante et bien dessinée. Quelques euros pour toi, quelques dizaines d’autres pour ta cage et ta première nourriture, je suis sorti du magasin fier comme un paon. C’était officiel : à trente ans passés j’avais un fiancé. Et pas n’importe lequel. Mon chat, lui, n’avait jamais pu complètement prétendre au titre.

 

Le brave a tout de suite compris que tu étais un rongeur différent des autres. Car, avant toi, il en avait connu des souris, des pauvres petites qu’il m’apportait délicatement le matin, toutes ratatinées, en cadeau sur l’oreiller. Je vous revois tous les deux, toi te dandinant fièrement dans ta maison à barreaux, nullement intimidé par lui qui t’observait fasciné. Il me donnait souvent l’impression d’avoir sa petite télévision personnelle et,  franchement,  avec son air de ne pas comprendre pourquoi tu n’avais pas peur, il me faisait un peu pitié.

 

Aujourd’hui, je ne sais toujours pas ce que tu as pu penser du nom que je t’avais donné. Tallulah, en hommage à Tallulah Bankhead, une actrice. La veille de ton arrivée, j’avais lu quelques détails amusants sur sa carrière de croqueuses d’hommes. Tallulah,  en tout cas cela sonnait bien, et cela t’allait parfaitement lorsque tu inspectais ton territoire, dodelinant de ta curieuse petite culotte blanche. Il me manque parfois la nuit, le bruit de la petite roue à l’intérieur de laquelle tu tournais sans cesse. Jusqu’au jour où, bêtement, tu es mort. Sans que j’en sois très étonné, puisque le vétérinaire avait été très clair. Techniquement, il m’avait affirmé pourvoir enlever sans problème la vilaine boule qui te poussait sur le ventre, mais c’était le dosage de l’anesthésique qui l’inquiétait. Alors voilà, tu t’es réveillé et juste après tu m’as quitté pour toujours.

 

Quelques semaines plus tard, parce que la cage vide me semblait désolante, je t’ai remplacé par deux nouvelles. Deux petites qui se sont révélées être stupides, et en plus ces garces mordaient de leurs affreuses petites dents. J’avoue avoir caressé l’idée de les voir finir en tomates farcies, mais je n’ai pas mis ce projet à exécution car ces idiotes  ont attrapé des puces, après quoi une surdose d’insecticide leur a été fatale. Je ne les ai jamais pleurées, elle, contrairement à toi…

 

Ton chat et moi nous t’embrassons.

 

K.