6. Le jour des premiers tests en neurologie. Fausses pistes.

6. Je reviens au récit de cette semaine de vacances de la Toussaint fin 98, que j'ai passée au service de neurologie de l'hôpital civil.
J'ai déjà précisé que le service tournait bien, que le personnel était top.
Je marchais encore, en traînant la patte. Le chef de clinique me fera les tests neuros habituels: marcher en ligne droite mains tendues, puis yeux fermés, réflexes, babinski, marionnettes, tests des yeux (aucun blème de ce côté-là à l'époque: depuis la fac, petite myopie et lunettes, ràs...), sensibilité touché/piqué et vibrations avec un diapason  etc... Son visage exprimera l'inquiétude, comme celui de la neurologue en ville... J'apprendrai les termes de "paraparésie" et "paresthésie" pour décrire les zones devenues insensibles.

 Prise de sang (on m'en fera plusieurs, puisque je suis sous Préviscan et dois surveiller mon INR), ECBU, radios, scanner, P.E. (potentiels évoqués), EMG (électromyogramme)... Une PL est prévue par le chef de clinique, mais on ne me la fera pas... pas cette semaine-là! Ce qui m'a arrangée, pauvre sotte que j'étais: ma généraliste que j'avais appelée depuis l'hosto avait lâché un cri d'horreur: "Ah non! Moi, on ne me fera jamais de PL!" (tu parles pfff! Quand il faut, il faut!)et le papa d'un ami/voisin en avait subi plusieurs, traumatisé, hurlant de douleur, j'avais donc des a priori!
On a voulu me faire passer mon IRM, mais comme j'étais claustro, on a dû abandonner après deux tentatives infructueuses! (plus tard ils penseront enfin à me mettre un calmant!) Il y a peut-être eu d'autres examens, mais la fatigue, la peur, le stress ont vidé ma mémoire de cette période...
Au bout de ces quelques jours de repos forcé, je marche mieux, enfin un peu, je suis presque reposée, soulagée, et ai envie de rentrer.
Avant l'EMG, les infs avec qui j'avais un peu sympathisé m'ont dit: (c'était F., décolorée en blonde platine!) "EMG! C'est au rdch, madame Rieckert, vous pouvez descendre toute seule et remonter... Vous n'allez pas aimer du tout..."
 "Ah bon? Pourquoi?" je demande, naïve.
"Vous verrez!" répondra F., une lueur perçante dans le regard un peu sadique pour rire.
En effet! Je n'ai pas aimé, mais alors pas aimé du tout!!!
Un vieux bonhomme, le Pr. J., soi-disant sommité (qui formait aussi les kinés), a procédé à l'EMG; où on pique dans les muscles avec des aiguilles spéciales, puis on passe du courant pour tester la conductivité de l'info neuro.
Je me souviens des grimaces, du serrage de dents, d'un ou deux cris que j'ai poussés... Son assistante, le regard horrifié, répétait, comme à un enfant: "Non non, professeur, pas ici! Vous êtes dans le nerf là!", le guidant car il tremblait, le vieux grigou!
En remontant au second, au service, j'étais passablement choquée, endolorie, plus que jamais angoissée à l'idée de la ponction lombaire à venir. Si le vieux grigou avait voulu me la faire, je me serais enfuie!
F. l'inf blonde m'interpelle: "Alors? Elle a aimé?"
"Non! Elle n'a pas aimé du tout!!! Mais quelle horreur! En plus, il piquait dans les nerfs. Ca fait un mal de chien! Il a un grain ce type! Il est encore en âge d'exercer?" en grimaçant au souvenir récent de la douleur.
"Il a été en camp de concentration, le Pr. J. ..."
"Mince!!" je dis, émue, bouleversée, prête à lui trouver des circonstances atténuantes pour sa maladroite méchanceté, repensant aux horreurs vues à la tv, racontées par mes parents et à mes cours de collège, lycée, fac!" Je souris douloureusement tandis que F., malicieuse,  finit sa phrase, éclairant ma lanterne:
"...oui... Et il est tombé du mirador!!!"
En d'autres termes: c'est une brute, un bourreau, il fait souffrir tout le monde, et l'équipe a imaginé cette boutade d'humour noir!
N'osant demander s'il y a une part de vérité dans la phrase, je retournerai m'allonger...
En rentrant les résultats faussés de l'EMG, l'équipe passe, au grand complet, la smala comme je l'appellerai: Pr. W., chef de service respecté voire vénéré, un grand homme massif en blouse blanche avec des fronces sur les épaules, ce qui lui donnera des allures de bonbonne, qui traînait la patte (séquelle de polio? C'est ce qui se disait entre patients!), neurologue renommé (ayant mis au point une technique de diagnostic de la SEP, apprendrai-je bien plus tard), avec sa cour au grand complet: les deux internes neurologues du service (dont le Dr M-C F., interne géniale, qui me suivra et, 10 ans plus tard, est toujours ma neurologue!), son collègue V., le chef de clinique prêt à me ponctionner en reluquant mes rondeurs d'un oeil critique, les externes du moment... et le vieux grigou!!!
Les résultats des examens sont peu homogènes, pas normaux mais pas concluants non plus, atypiques... Pas de nerf coincé, mais ça je le savais déjà... Ils sont déroutés. Le vieux grigou ajoute son grain de sel, rappelle que je suis une patiente "MGEN", càd prof, et d'un seul coup les visages s'illuminent: ben vi, c'est pourtant simple: Prof! Donc douillette, mytho et désireuse de se faire porter pâle! (Ils ne me le diront pas en face, je l'apprendrai plus tard. Si j'avais su j'aurais crié: ben pourquoi je fais mes tests pendant mes congés et vacances, hein? Et je leur aurais fichu mes copies corrigées à la tronche, nan mais! Bande de patates!)
Suivra une discussion animée entre le chef de cli qui affirmera qu'il y a un blème sérieux, et le vieux grigou, visiblement ami du Pr. W., qui s'opposera à des examens plus approfondis, inutiles selon lui, puisqu'après quelques jours de repos, je marche mieux!  Quel c..!!! Le Pr. W. se rangera du côté du vieux grigou, on décide de ma sortie pour le week end, je me fais vite un shampooing et brushing (me laissant le temps de faire mes courses, une lessive et de relire mes prépas de cours). Moi, je ne demande pas mon reste, optimiste, je vais mieux, c'est ce qui compte. Je suis soulagée d'échapper à l'aiguille de PL du chef de cli que je catalogue "petit sadique vicieux", à tort!
J'appelle ma nièce, mes collègues, amis, mon amie d'enfance et voisine de quartier... Pas "P"., puisqu'on est séparés, même si j'en ai besoin et envie...
Pas de visites pendant cette semaine, pas la peine, avais-je dit. Tout le monde est rassuré. Je quitte la neuro avec ma petite valise, sous l'oeil âmer du chef de cli, et F., l'inf me lance, riche de sa longue expérience: "J'ai bien peur qu'on ne se revoie bientôt!"

Elle a eu raison!

***EMOTIONS A LA REDACTION: Beaucoup d'angoisse est remontée, j'ai revécu la peur  panique devant le bas du corps qui commençait à se paralyser... Le sentiment d'abandon, de solitude terrible devant une chose inexpliquée et incontrôlable... La colère de ne pas avoir été entendue, crue, alors que la PL révèlera le problème!!! Les préjugés du personnel, enfin d'une partie, sont effrayants.
Au prochain épisode, le GRAND CLASH qui aboutira à la paraplégie et à l'incontinence, implacablement, brutalement, cruellement, avec des douleurs effroyables. Sans qu'on puisse l'empêcher. Urgences, puis neuro (5 semaines et demie dans un sale état)...