C'est probablement un des plus grands théologiens du XXe siècle. Maurice Zundel, Karl Barth, frère Roger furent ses contemporains à Genève lorsqu'il y fût vicaire. Il n'avait aucun diplôme universitaire et enseigna dans un séminaire à Fribourg jusqu'à la véritable épreuve que fut pour lui sa nomination au cardinalat en 1965. C'est son côté « curé d'Ars » qui était douloureusement atteint par cette haute distinction. Il finit par s'en remettre et même à rendre d'éminents services au cours du Concile auquel sa nomination lui donnait accès et même une autorité. Son amitié avec Jacques Maritain, dont il fit connaissance dans les années 20, eut un rôle décisif dans sa vie et dans son œuvre. Lorsque l'auteur de ces lignes l'a rencontré en 1968 il avait 77 ans et respirait la sainteté. Humble, délicat et pauvre, ce grand esprit avait une œuvre considérable derrière lui avec l'Eglise du Verbe incarné dont le premier tome date de 1943 et le troisième de 1969. Il pensait qu'il fallait pour notre temps une synthèse qui reprendrait le grand dessein de saint Augustin lorsqu'il écrivit La cité de Dieu. En réalité son maître livre sur l'Eglise en est au moins l'esquisse, sans qu'il pensât se comparer avec l'auteur des Confessions. Toute une bibliothèque complète cet ouvrage volumineux. Charles Journet n'était pas seulement un écrivain, c'était un mystique épris du Christ, de la Vierge, des saints et attentif aux âmes.Il faut avoir servi sa messe pour évoquer sa dévotion eucharistique. Très cultivé et informé de l'actualité politique et sociale de son temps, si riche en bouleversements de tous genres, sa pensée s'était développée à la lumière de saint Thomas d'Aquin dont il avait une connaissance extraordinaire.Mais sa scolastique était illuminée par les grands spirituels , hommes et femmes , qu'il aimait citer dans ses travaux les plus techniques. Séminariste, il avait découvert Catherine de Sienne en transgressant un règlement qui interdisait l'accès à certains ouvrages de piété.
Sa douceur pouvait devenir une épée tranchante lorsque la vérité était concernée, mais ce grand ami de Dieu pratiquait aussi bien le premier commandement que le second qui lui est semblable. En relisant le trésor des 35 lettres reçues entre 1968 et 1974, je retrouve sa voix sa manière de s'exprimer ardente et précise, toujours soucieux d'encourager. Il répondait aussitôt au courrier reçu si bien qu'on avait l'impression d'une brève conversation par écrit.
Il faut évoquer un incident qui montre que l'on n'est pas toujours prophète dans son pays. Il prêchait le dimanche dans l'église du Sacré Cœur de Genève et un jour le curé trouva que les homélies étaient trop longues et qu'une partie de fidèles ne semblait venir dans la paroisse que pour entendre l'abbé Journet ce qui provoquait une sorte de division.Alors on lui demanda de cesser de faire des homélies dans une église où il avait été baptisé. Ce fut dur pour l'abbé Journet que l'on chassait d'une certaine manière de chez lui.Quelques mois plus tard il était nommé cardinal ! Il ne retourna pas au Sacré Cœur mais donna des enseignements au Centre catholique d'études où chaque samedi on pouvait l'écouter.Le pape Paul VI le considérait comme un saint et l'abbé Journet avait la même idée sur ce grand pape qui lui confia d'importantes missions au moment où la tempête souffla si fort sur la barque de Pierre. L'abbé Journet faisait partie de la famille des mendiants de Dieu et la publication en 6 volumes de sa correspondance avec Jacques Maritain offre comme un miroir du mystère de notre temps.
Patrick de Laubier+