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Le Cid de Corneille

Publié le 05 juin 2009 par Voilacestdit

C'est toujours un bonheur de revoir une piטce du rיpertoire classique, quand bien mךme celle-ci n'est pas jouיe classiquement, soit par une jeune compagnie qui tente d'allier modernitי et classicisme, soit par une troupe de comיdiens qui osent rיsolument une nouvelle approche. 

Je rיalise que la mךme expression est employיe : on "monte" une piטce comme on "monte" un diamant.

Le diamant (dont le nom signifie en grec "indomptable"), c'est le texte :  de Corneille,  Racine... toujours aussi pur, fascinant, scintillant, il reste identique א lui-mךme;  la mise en scטne : classique, convenue, audacieuse... toujours rיinventיe, elle a pour fonction de mettre en valeur le texte, comme la monture le diamant.

J'ai vu rיcemment un Cid assez יtonnant oש le flamenco et le bruit des pas rythmיs sur les planches se mךlent א la musicalitי des alexandrins, offrant une lecture non conformiste du texte, que n'aurait peut-ךtre pas dיsavouיe Corneille lui-mךme.

Car Corneille, et voilא de ce que je redיcouvre, יtait loin d'ךtre un conformiste en matiטre d'esthיtique thיגtrale. Le Cid, pour commencer, n'יtait pas annoncי comme une "tragיdie", mais comme une "tragi-comיdie".

Le sujet (tirי d'une comיdie espagnole Les Enfances du Cid de Guilhem de Castro) nous est connu א travers nos souvenirs scolaires. Pour venger l'honneur de son pטre, Rodrigue est obligי de tuer le pטre de celle dont il est amoureux, Chimטne. Au dilemme de Rodrigue [se venger, c'est perdre Chimטne; ne pas se venger, c'est perdre l'honneur, et donc aussi perdre Chimטne : Rיduit au triste choix ou de trahir ma flamme / Ou de vivre en infגme / Des deux cפtיs mon mal est infini...] rיpond le dilemme de Chimטne [aimer, c'est s'oublier ; haןr, c'est oublier l'honneur de Rodrigue : Ma passion s'oppose א mon ressentiment / Dedans mon ennemi je trouve mon amant...].  Ces dilemmes (cornיliens !) sont tragiques, et pourtant le tout finira dans une espטce de farce oש l'on verra le roi, ridicule, et pourtant porteur de l'autoritי [no comments], mettre fin א l'impasse.

La piטce, crייe en 1637, fut fort critiquיe par les thיoriciens du thיגtre, parce que les rטgles de la tragיdie [rטgle de la vraisemblance, rטgle des trois unitיs, rטgle de la sיparation des genres] n'יtaient pas respectיes.

Elle fut en revanche accueillie avec enthousiasme par le public [En vain contre le Cid un ministre se ligue, Tout Paris pour Chimטne a les yeux de Rodrigue (Boileau)], peu soucieux des rטgles, mais pour qui חa fonctionnait : il  trouvait en Rodrigue un hיros humain, manifestant une grandeur et un courage mיritant d'autant plus l'admiration, que loin de se conformer au personnage traditionnel submergי par le destin, il est maמtre de lui-mךme : le vיritable souverain.  

Le diamant jette encore tous ses feux. La langue est s�re, יnergique, יclatante. Qui ne se prend א doubler א part soi les comיdiens : O rage ! פ dיsespoir ! פ vieillesse ennemie ! N'ai-je donc tant vיcu que pour cette infגmie ? [...] ou encore : Rodrigue, as-tu du coeur ? / - Tout autre que mon pטre l'יprouverait sur l'heure [...] ou la fameuse tirade : Nous partמmes cinq cents ; mais par un prompt renfort / Nous nous vמmes trois mille en arrivant au port, / Tant, א nous voir marcher avec un tel visage, / Les plus יpouvantיs reprenaient de courage [...] etc. 

La monture, habillיe de rythmes endiablיs, danses sיvillanes, claquettes effrיnיes... apporte une forte expression visuelle et sonore aux sentiments dans lesquels la conscience du hיros se dיbat. L'action s'en trouve fortifiיe, de mךme que le texte ainsi serti.

Tragיdie et comיdie : le pari de Corneille n'a rien perdu de son actualitי, contre les tenants, toujours actuels, de la pensיe conforme.



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