Baby-sitting
Beny: grand tour en landau
Jeudi après-midi, j’ai baby-sitté Beny le garçonnet de onze mois de mes amis Alistair et Mona. Quand j’ai pris Beny dans mes bras, par deux fois Mona m’a dit que ça m’allait bien d’avoir une enfant sur les hanches. J’ai éprouvé un grand plaisir et une énorme fierté de ne pas dépareiller en tant que “mère”. Surtout venant de la bouche de l’une d’entre elles. Quel dommage de n’avoir pas pensé plus tôt à me fabriquer cet accessoire de mode. Mais bon… ni la gamine, ni l’adolescente que j’ai été, pas plus que la femme que je suis, n’a jamais marché dans le sens du vent. Cependant, à l’instar des fois ou j’essaie une robe classe et que mon entourage s’extasie en remarquant que je la porte bien, cela me remplit d’aise quand on s’aperçoit que j’aurais pu être mère sans paraître incapable.
Après le dîner -le déjeuner en France- Beny dans son landau et moi derrière la voiturette, avons accompagné son papa qui prenait le bus à la Place Espacité pour se rendre à son travail. J’avais l’intention de continuer la promenade le long de l’avenue Léopold-Robert lorsque j’ai remarqué ne pas pouvoir éviter le soleil brûlant sur ce côté de l’avenue. Aïe! J’avais omis d’enduire bébé de protection solaire or monsieur “je gazouille mais ne parle pas encore”, refusait de garder sa casquette sur la tête. J’ai réalisé un demi-tour sur poussette pour changer de trottoir mais, arrivée au passage piéton, j’ai décidé de continuer la promenade sur ce côté de la rue d’ouest en est avec le soleil dans le dos, plutôt que d’est en ouest sur un trottoir ombragé. Convaincue que les enfants préfèrent le bruit des voitures, les camions et les chantiers aux arbres et aux fleurettes, après avoir traversé une route, je me suis rapidement retrouvée à la rue du Collège. Dans le landau, Beny babillait sa joie. Enfin une situation qui le changeait des jolies fadaises avec lesquelles la plupart des adultes croient faire plaisir aux bébés! J’ai foncé tout droit jusqu’à Bikini Test dans cette partie de la ville que la plupart des adultes qualifieraient de sordide. J’ai montré à Beny le club de musique fortement sonorisée en lui expliquant que son papa et moi adorions y passer nos vendredis et nos samedis soirs, autrefois il y a longtemps, à boire des bières et des tequilas en pogotant sur de la musique punk ou autre, pourvu qu’elle nous arracha la tête. J’ai ajouté que lui aussi un jour y viendrait. Bientôt. Très vite. Beaucoup plus vite que les “grands” ne le souhaiterions. Non pas que le lieu soit mal famé. Au contraire. Dans le genre, il est plutôt bon enfant. Simplement les adultes n’aimont pas nous faire pousser dans la tombe par des machins qu’hier encore portaient des couches-culottes! Nous avons regardé un camion sortir de la carrière qui se trouve juste derrière Bikini, puis j’ai pris à gauche, la grande pente raide. Arrivée en haut après avoir abondament sué à pousser la carriole, l’enfant et le gros sac contenant le goûter, les couches, les mouchoirs, les joujoux et les trois millions de choses dont un être humain miniature a besoin à la moindre sortie, j’ai pris à droite, hop, en direction de l’usine à compost! La puanteur qui s’en dégageait aidant l’imaginaire, je me suis demandé combien de temps mettrait un enfant à se décomposer sur un tas de compost. Ça y est! Je vois d’ici vos airs terrifiés! Ben, oui je suis comme ça moi! Je me pose des questions sur tout. Parfois des questions étranges. C’est pour ça que, n’en déplaise à ma dernière psy, je me considère davantage comme une auteure que comme une ouvrière. Un bébé se décomposant dans du compost, pourrait tout à fait devenir le début d’un roman. Mais pas d’inquiètude hein? On peut me confier des mômes, je suis capable de marcher des kilomètres le soleil dans le dos pour que bébé n’attrape pas d’insolation. D’ailleurs les enfants et les ados m’adorent. Si, si…
Après l’usine à compost, la ville se transforme en campagne. J’ai amené Beny aux alentours d’une ferme. Je lui ai montré les veaux dans leur pré, les poules, le coq et les chèvres. Bébé a apprécié les animaux de la ferme autant que les camions et les usines de la rue du Collège. Ensuite j’ai fait demi tour mais, comme je le supposais, une route déserte traversant des pâturages vides et une forêt de sapins, l’ennuyait ferme. Il a commencé à râler et pleurnicher. Ni le biberon d’eau, ni les biscuits ne le calmaient. J’ai dit “Ah oui, mon bonhomme c’est comme ça? Tu t’ennuies à la campagne? Et ben je vais te montrer une chose que tu n’as jamais vu!” Et me voilà prenant sur la gauche pour entrer dans le cimetière. Immédiatement l’enfant s’est tu, captivé par le lieu. Ses parents ayant l’esprit largement ouvert à l’art, j’ai pensé que si bébé Beny avait hérité de leur sensibilité, il serait intéressé par les stèles artistiquement travaillées. Avec un énorme respect pour les habitants du lieu, je me suis arrêtée devant toutes les pierres tombales sculptées de personnages où d’objets figuratifs tels des bateaux, des partitions, des guitares, des oiseaux. Beny semblait fasciné. Entre l’épuisement induit par la concentration que lui demandait d’observetion des sculptures et gravures et le cahotement de la poussette sur des allées étroites peu prévues à la promenade d’un enfant, Beny a fini par s’endormir. Je suis alors sortie du cimetière et pris la rue de la Charrière jusqu’à un garage qui des boissons froides à un automate. Je me suis acheté un Rivella, puis j’ai poursuivi mon chemin jusqu’à la Place des Moulins qui se trouve au bord d’une route de grand passage afin de m’assurer que le bruit des voitures continuerait de bercer bébé. Là, je me suis enfin assise pour m’hydrater après plus deux heures de marche à pousser Beny sous un soleil étrangement chaud pour la région.
Le Café du Patinage, un restaurant de routiers à la rue du Collège. Je ne comprends pas le pourquoi du nom de ce café. En observant les alentours, j’ai pensé que le terrain plat du club de boccia qui se trouve juste à côté, servait peut-être autrefois de patinoire en hiver. Si un chaux-de-fonnier passant dans les parages peut répondre à cette question, qu’il le fasse. Je suis d’une nature curieuse.
Toujours à la rue du collège, le graffiti d’un proche du Front National couvre une autre annotation qui dit: France caca! Ici, nous sommes à peine à un ou deux kilomètres de la frontière, alors la France et les Français ne nous laissent pas indifférents.
Machine de chantier à la rue du Collège.
Bikini Test, l’endroit ou le papa de Beny et moi, comme tant d’autres de notre génération, avons passé des nuits entières -enfin jusqu’à 2h à l’époque- à écouter de la musique, danser, draguer, aimer, boire… J’ai d’ailleurs toujours l’un des t-shirt de l’ouverture du club en 1992, qui dit “Bikini Test j’y étais j’ai survécu”. Un collector!
Au dessus de la pente raide qui mène à la campagne, un nuage dessine un coeur tendre. A l’image on n’a pas l’impression que ça grimpe, mais ceux qui connaissent le coin savent que c’est vraiment une très forte dénivellation pour s’y promener avec un landau.
Enfin la campagne.
Coq et poules ont fasciné Beny.
Chèvre et bouc.
Au cimetière.
Beny, dans son landau, dormant tel un ange à La Place des Moulins.