Magazine Journal intime

Le parapluie et le déficit

Publié le 11 octobre 2007 par Jlhuss

par Chambolle

Randonneur volontiers solitaire, j’adhère pourtant à un club affilié à la Fédération Française de Randonnée Pédestre (FFRP pour les intimes). Adhésion de reconnaissance : elle me permet d’exprimer ma gratitude aux baliseurs bénévoles qui, armés de leurs pots de peinture blanche, rouge ou jaune, jalonnent d’un bout de l’année à l’autre, les sentiers de grande, moyenne ou petite randonnée qu’il m’arrive d’emprunter au hasard de mes balades et pérégrinations. Jusqu’à présent, cette formalité se réduisait au versement d’une modeste cotisation. En retour, je recevais une carte multicolore, ornée des sigles de MMA et de Gaz de France ainsi que de divers numéros de téléphone dont celui d’un service d’assistance.
C’est sans doute cette prestation qui a motivé l’innovation suivante : avant-hier est arrivée la classique et automnale circulaire de notre (dévouée) trésorière Et là qu’ai-je appris ? Qu’outre le versement de ma contribution annuelle. Je me dois de produire un certificat médical. Le contenu de ce document n’est pas précisé, mais je présume qu’il doit attester mon aptitude à « la pratique de la marche à pied en terrain varié » comme le disent si joliment les topoguides édités (avec le concours de collectivités locales soucieuses de développer le tourisme vert) par la FFRP
AAARRRGGGGHHH m’écrié-je en moi-même ! Mobiliser la Faculté pour prouver que je peux mettre un pied devant l’autre et recommencer, ceci en montée, descente et terrain plat, n’est-ce pas pousser un peu loin la prudence? Depuis quand marcher est-il un sport à risque ? Comment les médecins vont-ils s’y prendre pour être, eux-mêmes à l’abri de tout reproche ? Va-t-il falloir interdire au sieur X de suivre le chemin de Stevenson entre fin mai et début juin, pour cause de possible allergie au pollen des châtaigniers et défendre à la dame Y de parcourir tout sentier présentant des dénivelés positifs de plus de deux cent cinquante mètres ?
Bref je rage, je peste, je fulmine, j’invective et je tempête (le tout moralement vu que j’étais seul dans mon bureau) jusqu’à ce que la vérité sortant du puits où elle réside habituellement vienne me fournir l’explication de cette incongruité.
« Voyons, me dit-elle en s’essuyant les cheveux et le reste à l’aide d’une ample et confortable serviette-éponge achetée jadis à Germardmer -Vosges– , pourquoi tant d’acrimonie ? Cette demande, des plus raisonnables, n’est qu’une application du principe de précaution dont tu n’ignores pas qu’il figure désormais dans la Constitution. Tu ne voudrais tout de même pas qu’en cas d’accident ou même d’incident, on mobilise des services d’assistance s’il n’est pas médicalement prouvé que tu pouvais arpenter le GR7 entre Saint Gengou le National et Cluny, Saône et Loire. »
La lecture de ce blog n’est pas interdite aux mineurs de moins de dix ans, j’évite donc, pour des raisons de décence, la kyrielle de noms d’oiseaux dont j’accablais cette déesse dont je dois dire, par ailleurs, que, même drapée dans un peignoir de bain, elle offre aux regards les moins avertis un spectacle des plus agréables. Le résultat ne se fit pas attendre. Vexée par ma grossièreté, la Vérité retourna dans son humide et souterrain séjour en oubliant au passage de me rendre ma serviette-éponge (ce que je lui pardonne bien volontiers eu égard à la pureté de ses intentions, à sa parfaite maîtrise du vocabulaire –ce n’est pas tous les jours qu’on utilise le joli mot d’acrimonie- et à la perfection de ses formes).
Là-dessus, je me résignai à l’inéluctable et composai le numéro de téléphone du bon docteur R. dont mes inquiétudes d’hypocondriaque n’ont jamais réussi à altérer la bonne humeur. Comme d’habitude, je fus accueilli par le quatuor pour clarinette, violon, alto et violoncelle (K380) du regretté Mozart, dont l’audition est censée calmer l’agacement des patients attendant que la secrétaire ait fini de traiter l’appel –infiniment moins urgent pourtant- qui a précédé le leur. Cette fois, il devait s’agir d’un cas très compliqué car j’eus le temps d’entendre tout l’allegro (7 minutes environ) et une bonne moitié de l’andante.
La musique, c’est bien connu, adoucit les mœurs. Elle favorise aussi la réflexion. La FFRP, pensé-je, compte plusieurs dizaines de milliers d’adhérents. Autant donc de certificats médicaux à établir et donc de visites à rembourser (moins, bien entendu, la franchise d’un euro), le tout pour un résultat des plus incertains sur la santé publique. Certes, rapporté au budget général de la sécurité sociale, les pertes supplémentaires générées par cette mesure ne sont pas gigantesques. Mais enfin de même que les petits ruisseaux se transforment inéluctablement en grandes rivières, les petits trous font les grands précipices. Comme quoi il suffit d’ouvrir un parapluie pour creuser un déficit.

/Post Blogum : Cette note à peine terminée, j’ai appris que le gouvernement voulait supprimer l’obligatoire visite prénuptiale. Un généraliste expliquait ce matin pourquoi il était opposé à cette décision (mise à jour des vaccinations, prévention des MST, diagnostic de certaines pathologies…). Ses raisons ne manquaient pas de pertinence. J’en ajouterai une : s’il est un sport à risque c’est bien le mariage /


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