Je suis allée à mon rendez vous.
C’est toujours un couple qui part en intervention. J’y suis allée avec Majid, mon collègue.
Nous entrons dans le bureau, Mr Toumi est là.
Il nous expose son projet, celle qui écoute de manière admirative et qui note.
Première impression, petite exécutante qui note le besoin du client.
Je laisse Majid exposer notre offre au client.
Il écoute patiemment, sans grand enthousiasme.
Je n’ai pas envie de le perdre.
L’idée et je ne sais comment, me traverse l’esprit, et c’est toujours le cas dans les situations critiques.
Lorsque Mr Toumi se prépare à nous dire « On reste en contact, j’ai vos coordonnées, je vous rappelle »
Je prends une grande respiration, il est temps de croiser les jambes, tortiller des lèvres, faire papillonner les cils, et lui expliquer par A+B qu’il est un client unique, à qui on propose une prestation unique à un prix unique. Comme je saurais faire en sorte qu’il avale mes paroles comme il avale des couleuvres. Done ! Il achète. Si, si je vous jure il a acheté, il attend le devis pour signer.
Je sors de là, je ressens une certaine fierté, couplée d’un certain dégoût : j’ai réussi mon challenge mais j’ai l’impression d’avoir manipulé Mr Toumi (qui serait Mr Epsilon, ça ne changerait pas grand-chose). Ce n’est pas qu’une impression de négociation professionnelle, ni de négociation tout court. Mais j’ai l’impression que toute ma vie est un gros coup de pub.
Je suis une manipulatrice et mon physique m’aide beaucoup ? Je ne veux pas le croire.
Etre manipulateur c’est ne pas avoir de sentiments et agir dans le seul but d’extirper quelque chose de chez quelqu’un. Je ne suis pas comme ça… je ne veux pas le croire.
Quand je retourne au bureau, il est plus de 10h, il est l’heure d’appeler Rania, pour savoir où elle a atterri hier et quelle connerie elle a encore faite. Le code d’honneur veut qu’on ne se dérange jamais. A 10h, elle est obligatoirement réveillée et au bureau.
« Allo, bonjour… Tu m’as fait peur »
Petite voix « Bonjour, je m’en doute »
« … »
« Tu attends que je t’explique ? »
« Non, j’attends que tu me dises qu’au moins tu vas bien ?! »
« Oui, je vais bien physiquement, moralement, c’est une autre affaire. »
« Tu étais avec lui hier soir ? »
« Pas toute la nuit, il est rentré chez lui à 5h… (Avec un soupir) il a une femme qui ne doit rien y voir de suspect. »
« Vous avez parlé »
« On n’a fait que ça. C’était drôle et sympa au début. Jusqu’au moment où on s’est demandé ce qu’on faisait là tous les deux. Assis sur une bordure près de Kobet El Haoua, jusqu’à pas d’heure ! À quoi ça rime. »
« Aïe ! Et à quoi ça rime ? »
« C’est la conclusion à laquelle nous en sommes arrivés. On s’apprécie, on ne peut pas ne pas passer de temps ensemble, et on fini par se séparer quand je lui rappelle qu’il est tard et que sa femme va se demander où il est et qu’il me dit : « tu rentres seule ? » … Ben, oui seule… »
« Ma chérie, je suis désolée… »
« Y a pas de quoi, … c’était prévisible, … tu manges où à midi ? »
« Avec Hédi »
« ça a été ton rdv ? »
« Très bien, on passe au Lac après le boulot ? Je dois récupérer ma robe. »
« J’y serais j’ai rendez vous chez Nahla. Tu t’es fait les ongles ? »
« Non, je les ferais en rentrant. J’ai eu Hassen au téléphone, il passera aux alentours de 23h, ça me laisse le temps de tout faire. »
« On se retrouve devant l’institut de Nahla ? Tu m’appelles en sortant ? »
« Oui, à plus ma belle. »
Je me suis plongée dans le travail, j’ai déjeuné avec Hédi. On a discuté de tout et de rien, j’ai esquivé tout ce qui pouvait de près ou de loin, concerner l’avenir, le mariage et l’engagement. Je n’aime pas quand ça devient trop facile. Et, il m’offre le bonheur sur un plateau.
Notre déjeuner était sympa, mais totalement dépourvu de sentiments. A la fin du déjeuner au moment de se séparer, j’essaye d’esquiver de toutes mes forces toute phrase qui pourrait ressembler à « Je passe chez toi ce soir ? » ou « Je te revois quand ? ».
Il n’a pas pu s’en empêcher « On se voit ce soir ? »… A la rigueur s’il pouvait me laisser en suspens, me laisser réfléchir, me demander pourquoi il ne m’a rien dis, me donner matière à penser à lui.
Les filles aiment qu’on leur complique la vie, ou moi j’aime qu’on me complique la vie, qu’on me donne du fil à retordre. Pauvre Hédi ! Par moments, je ne sais plus quoi faire pour qu’il sorte de mon emprise.
Je n’y pense plus. L’après midi je me replonge dans le boulot, et là j’excelle… dans la gestion de l’équipe, de mes clients, de mes dossiers….
Il est 19h, je dois rentrer.
Je poste cet article écrit entre deux portes.
Je me prépare pour ma soirée mondaine, où il faudra s’afficher avec son plus grand sourire et sa plus grande sympathie résumant une tonne d’hypocrisie. La house me fera oublier ce mal être et le fait que je déteste ma vie.
Je risque de retrouver du monde qui va pas me lâcher.