Une amie proche, connaissant mon intérêt pour le spectacle vivant, m’a offert deux places gratuites pour le cirque Medrano. Elle m’en avait donné d’avantage que nous avons distribuées auprès d’enfants que nous connaissions. La représentation était le soir de la rentrée des classes, soit, hier à 19 :30.
C’est donc en délégation que nous nous sommes rendus à la caisse, pour apprendre que nos places gratuites « Tribunes populaires » n’étaient plus disponibles :
- Nous n’avons plus ces places, mais il nous reste les « tribunes d’honneur » encore gratuit, mais il faut obligatoirement prendre le programme, qui est à 5 euros par personne.
- Hum ! Bien, c’est d’accord, nous n’avons pas vraiment le choix.
En guise de programme, on nous remit une affiche pliée en quatre qui avait les allures d’une couverture de film x bon marché et qui contenait des informations sommaires. Devant nous, une famille dans la même situation avec deux billets gratuits, râlait :
- Yo, mais, c’est même pas cratuit, c’est une belle arnaque, putain, merte...
La maman se faisait une joie d’offrir le cirque Medrano à ses enfants, mais cela ne marchait pas ; sur l’invitation, en petit caractère, était inscrit « un carton d’invitation par famille », pour deux personne seulement. Ils étaient 4, elle est partie profondément déçue, pour ne pas dire dégoûtée, car, elle n’avait pas les 20 € nécessaires aux quatre programmes et encore moins pour les places plein tarif. Mais, si elle avait lu l’invitation, elle se serait présenté avec un enfant, et son époux avec un autre, ce qui lui aurait permis de bénéficier de l’offre pas si avantageuse que ça avec 4 programmes à 5 euros ; elle aurait du débourser 20 euros mais pour 4 et non pas 24 euros la place, soit 96€ ; c’est la rentrée, on s’entraîne pour le calcul mental.
Bon, en dehors de ce détail désagréable, nous avons pu constater que sous le chapiteau, il y avait bien peu de monde, il est certain que le cirque Medrano a beaucoup perdu depuis mon enfance, où je pouvais le voir au Cirque d’Hiver à Paris, avec le fameux cirque Pinder/Jean Richard, le formidable Achille Zavata et sa troupe de clown dans les années 60… Comme le temps passe…
La grande cage était en place, on n’attendait plus que les fauves. En règle générale, on réserve les fauves pour le deuxième acte, mais pas ici, sans doute souhaitait-on démarrer en fanfare. Au pied de la piste, dans la poussière et le courant d’air, dans les effluves de fauves et de bêtes de cirque, un chinois faisait des barbes à papa qui ressemblaient au chapeau magique de Harry Potter « Griffindoor » qui semblait dire à l’assistance :
- « qui veut du Griffon d’or ? Qui veut de la barbe à poussière et des miasmes, qui veut de la poussière de… MEDRANO»
Plus loin, un autre chinois faisait du pop-corn et du haut des gradins toujours vides, encore un autre, descendit en agitant une peluche en sachet transparent, alors qu’une voix nous faisait l’article :
- La magnifique peluche pour seulement 6 euros pour aider le cirque vivant, grâce à votre achat, vous permettez aux gens du cirque de continuer à vous surprendre, chez… MEDRANO… »
Nous étions en guerre, la Chine populaire avait investi les lieux et vendait des produits Made in China aux spectateurs… Brrr, j’en ai eu des frissons dans le dos.
En dehors du fait que la communication, le marchandising et que l’hygienne n’était certainement pas respecté au plus précieux sens du terme, il est certain que le cirque est en voie d’extinction lente, mais certaine. L’entretien d’un chapiteau, d’une troupe, d’une ménagerie représente des frais considérables. En tournée, le cirque Arlette Gruss doit fonctionner avec un budget de dizaines de milliers d’euros par jour. L’entretien des animaux, les soins vétérinaires, l’alimentation, les viandes, le fourrages, les fruits, les cages, les camions, les pneus, les caravanes, la communication, les artistes… Tout cela est un gouffre sans fond.
Alors, même si je n’ai pas apprécié la méthode de la direction commerciale de Medrano, j’en comprends les raisons.
Revenons au spectacle, le premier était les tigres, mon petit ami Arno, copain d’enfance de ma fille était assis à mes côtés, il n’a pas beaucoup de chance mon petit ami, il se fait casser la gueule à la sortie de l’école, alors, je lui ai donné des conseils, les mêmes, que m’avaient donnés mon père pour régler justement, ce type de problème. Il était content Arno :
- Ah oui, ça c’est une bonne idée. Mais Philippe si je me bats à l’école, je vais être puni…
- Et les petits salopards qui te cassent la gueule à la sotie de l’école, ils sont puni eux ?- Non…
- Et bien, tu diras que c’est de la légitime défense, ce qui est la pure vérité, et tu seras pardonné.
- Ah oui, c’est vrai ça, c’est de la légitime défense… Et en plus, c’est vrai !
Il était soulagé mon petit ami, il avait au moins une idée pour évacuer cette terrible angoisse qui l’obsédait depuis des mois et puis, il était au cirque et il était heureux. Il m’avait remercié d’avoir pensé à lui, je lui avais répondu qu’il était inutile de me remercier, et que c’était normal, soudain, il se sentit moins seul, et de réaliser que d’autres pouvaient penser à lui en terme amicaux, ça lui faisait du bien.
Nous avons regardé les tigres… Des tigres lymphatiques, épuisés d’être et de n’avoir jamais été des fauves, de gros chats qui grognaient un peu déguisé en tigre bengali et qui se plaçaient avant même que la poupée Barbie en talons aiguille ne leur donne de la badine et du fouet sur le museau. C’était d’un ennui remarquable, et puis, les numéros se sont enchaînés, ennuyeux au possible, le public était éteint, il n’avait pas envie d’applaudir, il n’était pas impressionné, Monsieur Loyal ne mettait pas le feu aux poudres, il commençait trop lentement, trop « je suis là pour faire mon boulot… » Et tout cela manquait de vie, de feu, de passion, alors dès qu’un détail sortait de l’ordinaire, la lumière dans les yeux des enfants s’illuminait et des cris de joie, des applaudissements émergeaient enfin.
Les éléphants me firent de la peine, le numéro n’avait rien de bien différent que celui que l’on trouve sur toutes les pistes des cirques du monde, et puis, je vois tellement peu d’intérêt à voir ces animaux si intelligents soumis à la volonté imbécile de faire des numéros ridiculement ennuyeux pour eux. J’éprouve le même sentiment pour les fauves et je me demande s’ils ont encore leur place dans les cirques. Puis, est arrivée une caravane de Chameau de Bactriane, très beaux animaux au pelage impeccable, qui tournaient au centre de la piste avec une cape rouge brodée sur laquelle on pouvait lire Medrano. Encore un coup de pub. Un des chameau s’est emballé et pour amuser les gamins :
- Tiens, Ahmed ne sait pas tenir son Harem.
Les enfants ont rigolé et Ahmed Loyal, car, c’était son nom de scène, a terminé son numéro, comme il avait commencé, par un baissé de rideau.
À l’entracte, « merchandising » oblige, la direction offrait aux enfants de se faire photographier sur une éléphante « très gentille » sans dire que c’était payant. Quelques minutes plus tard la grosse dame qui trônait à mes côtés attendait sa fille qui lui disait :
- C’est 10 € la photo, maman !
10€ la photo sur un éléphant même pas prise par un pro. Bref ! Vous savez ce que j’en pense…Le deuxième acte, en revanche, remporta un succès mérité. Le clown espagnol tira son épingle du jeu, les acrobates brésiliens et les moines Shaolin également, pour finir en apothéose avec les « Dorios » dans le « Globe Infernal ». 4 motos dans une sphère métallique, un numéro que nous avions eu l’occasion de voir à « Incroyable Talent » sur M6, les odeurs d’essence en moins.
Et bien, je peux vous dire que, malgré la petite fourberie de l’invitation, rien que ce spectacle valait la peine d’être vu et tous, je dis bien, tous les spectateurs étaient littéralement vissés sur leur chaise, nous étions époustouflés. Ce que font ces 4 motards, à défier la mort à 70km/h dans une sphère d’acier de 4m2 est absolument extraordinaire, on n’avait jamais vu ça !
La fin du spectacle s’est achevée dans une danse collective de tous les artistes de la piste aux étoiles, gesticulant sur un « meddley » enflammé, au point que la grosse dame qui se trouvait à mes cotés, et qui portait des verres à double foyers, sans doute la proche cousine d’Igor (Marty Feldman) dans « Frankenstein Junior », était complètement excité, et applaudissait à tout rompre en sautant sur son auguste postérieur avec frénésie, et donc sur la planche des gradins, jusqu’à me faire sauter avec elle sur la « danse des canards » et deux tubes de Michael Jackson. J’ai alors compris comment des gradins pouvaient-ils s’effondrer. Ouf ! Content que ça se termine, en bondissant de la sorte, elle avait fait sauter tous mes organes internes, sans parler de la bande son qui m‘avait explosé les tympans.
Les enfants étaient enchantés :
- On revient quand tu veux Philippe… Me dit Arno
- L’année prochaine, si on a encore des places…
- Ouai ! Super !
Bon, on s’en souviendra des places gratuites de Medrano…
Nous vivons une époque formidable…