Les solitaires, caste sociologiquement indéfinissable, à laquelle je crois que j'appartiens, sorte d'intouchables aux manières électriques, dégageant ça et là dans leurs pérégrinations circonvolutionnaires des décharges de foudre qui finissent par leur griller des pans entiers de circuits imprimés à l'encre pathétique, sont, les solitaires, d'incroyables bavards. N'en approcher qu'un suffit à faire comprendre la douleur que l'on éprouve à leur prêter, par pure charité chrétienne, une oreille, même distraite. Les voila qui vous haranguent, vous tancent, vous supplient, vous morigènent, vous prennent pour ces foules qu'ils fuient ordinairement et dont pourtant ils pensent qu'ils ont de ces choses d'une importance capitale, à leur dire, toutes affaires cessantes. Cessez un peu de vivre ! Vous soufflent-ils. Ils font chavirer le frêle esquif de vos certitudes, de ces garde-fous que patiemment vous vous êtes appliqués à considérer, à part vous, comme d'inébranalbles constructions mentales. Quand tout à chaviré, quand tout autour de vous l'océan syphonné a tout recraché sous la formes d'esquilles, quand vous ne leur opposez plus que le regard vitreux d'un merlan essouflé par le chalut lancé à cent à l'heure dans les bas-fond de votre patience, les solitaires sentent la pépie leur râper les papilles, le parapet à toute allure se rapprocher, et vous demandent, en se tordant les doigts, si il ne vous reste pas un peu de ce merveilleux vin qui leur débride si bien la faconde.
C'est que le solitaire est quelque peu pipelet, et là, les dames me pardonneront de leur voler un peu de ce si joli mot pour le masculiniser en lui soulevant la violette, délicatement. Mais pas toujours. Pipelets par nature, et le sachant fort bien, espèce unique dans l'espace commun, ils se ravalent, se crépitent la façade et du fin fond du silence font pour eux même des recueils de maximes, pour s'éviter de les appliquer à leur propre gouverne. Ils dissertent, dissèquent, déchirent dans la toile de sac de quelques platitudes, des moisissures tout à fait aptes à faire la nouveauté. Tenez ! Disent-ils. Voici le fond de ma pensée... Et pourquoi ne pas commencer par le dessus du panier ? Pourriez vous leur répondre. Impossible ! Vous rétorque le pipelet. J'ai depuis longtemps pris l'habitude d'avancer cul pardessus tête. Le fond de leur pensée souvent laisse voir que dans leurs souliers pointus le gros orteil de l'analyse a depuis longtemps tenté et réussit sa percée.
Prenez garde, do not lean out of the window ! Invitez-en un parfois, à votre table. Deux peut-être, ils se neutralisent avec assez d'efficacité sitôt que dans le miroir d'un semblable ils apperçoivent ce que leur maman a toujours tenté de leur cacher, la brancalitude de leur existence commune. Et puis à de certains moment, baillez un peu, un peu plus, à vous décrocher la mâchoire, faites sonner, comme un verdict, le verrou de la cave, condescendez à leur dernière trouvaille et armez vous d'un point. Un point final.