Baisse tendancielle

Publié le 05 septembre 2009 par Cecileportier


A 22 H03 elle est sortie descendre les poubelles. Elle en a profité pour ouvrir la boite aux lettres dans le hall d'entrée, parce qu'en rentrant tout à l'heure elle avait les bras trop chargés des courses de la semaine. Elle était devant sa boite à regarder ce qu'il y avait, pour pouvoir jeter tout de suite l'inintéressant. Il y avait un prospectus Lorenove lui proposant un devis pour le renouvellement complet de ses fenêtres, le catalogue des prix de rentrée de Carrefour, et une lettre cherchant à susciter un don pour la recherche contre le cancer. Elle allait ouvrir la facture EDF quand elle a entendu la porte sur rue s'ouvrir, et derrière elle cette voix :
"Bonsoir Nathalie".
C'était son voisin.
Ils ne se connaissent pas bien mais c'est étrange, il s'obstine à l'appeler par son prénom. Est-ce à cause de cela ou d'autre chose, elle éprouve envers lui un sentiment mêlé, compassion et méfiance. Plus tard peut-être nous en saurons plus. 
Quoiqu'il en soit, elle est toujours aussi surprise d'être interpellée comme ça, intimement, par ce prénom qui est le sien et qu'elle n'aime ni ne déteste.
Ce prénom qui est le sien est si commun. Des filles de sa génération, de sa seule année de naissance, il y en a 22 680. Ce fut le prénom dominant d'une petite décennie, rare sur toute la première moitié du siècle, montant après la libération, monté en flèche au milieu des années 50, arrivé au firmament après la chanson de Bécaud, en 1964. Nathalie : un prénom spoutnik.
Mais comme les fusées annonçant le bel avenir soviétique, le prénom russe est retombé bien vite. Si bien qu'aujourd'hui s'appeler Nathalie, c'est comme avouer son âge.
A sa naissance c'était encore le prénom que les mères donnaient le plus, faisant couler tout au long des jours ses trois claires syllabes sur le front de leur bébé, comme l'eau froide et claire d'un baptème toujours renouvelé. 
C'était encore le prénom le plus donné, mais c'était déjà la fin, déjà le déclin.
Si bien que Nathalie porte en elle, pas une conscience, ni une idée, mais une certitude irraisonnée d'être toujours dans la pente descendante.


Graphique fabriqué à partir des statistiques présentes dans tous les innombrables sites consacré aux prénoms, par exemple celui-là.
Pour ceux qui veulent réécouter Nathalie ce n'est pas
interdit