Contes de l'ordi sacré : Gudule au centre de la terre 10

EPISODE 10 : Où la femme maigre change de nom dans des circonstances précises mais que l'auteur ne détaillera pas parce que ce conte se veut moral...

« Il faut avouer, pour sa défense, que quand on a eu Gudule pour fiancée, on peut trouver désirable ce manche à balai », dit Marsupilania, encline à l'indulgence tandis que les autres considéraient leur compagnon d'un air à la fois outré et compatissant.

Le Masque de fer baignait dans l'eau sale et savonneuse que le caribou fou avait répandue autour de la femme maigre. Mais cela ne semblait nullement le gêner. A genoux, il psalmodiait ce qui pouvait passer à la rigueur pour une déclaration d'amour. Le caribou magique n'en croyait ni ses yeux ni ses oreilles et le spectacle du Masque de fer aux pieds de la femme maigre lui ôta toute possibilité de prendre la parole. Aussi fut-ce la Belle Monogramme qui résuma l'opinion générale. « Il est devenu cinglé, murmura-t-elle. Il ne manquait plus que ça ! Le voilà qui se pâme devant la pouf ! Je vous le dis, moi, on ne s'en sortira jamais ! Et si ça continue comme ça, nous n'arriverons pas à mettre la main sur Gudule ! »

On approuva hautement l'intervention de la Princesse et on essaya de raisonner l'amoureux transi, toujours agenouillé dans la flotte. Mais les efforts furent inutiles ; d'une part, le Masque de fer n'avait nullement l'intention d'écouter des discours moraux et pontifiants, et d'autre part, la femme maigre, qui n'avait pas entendu de déclaration d'amour depuis... des millénaires, écoutait, charmée, et de plus en plus convaincue que l'être écroulée devant elle était sincère. Aussi se dépêcha-t-elle de contrer les arguments (si on peut appeler cela de ce nom) que nos amis déversèrent sur la tête du Penseur Masqué. « Je vous crois, mon ami, dit-elle. Mais il faut me le prouver. Venez avec moi quelques instants dans un recoin, loin de ces gens ignorants et mesquins, et faites-moi votre cour dans les règles. »

Et nul ne put empêcher le Masque de fer de se relever d'un bond, d'empoigner la femme maigre par un de ses bras osseux et de l'entraîner derrière d'énormes rochers qui formaient, au fond de la grotte une sorte de barrière visuelle mais non auditive. « Alors ça ! » dit enfin le caribou magique, soufflé. Et les feulements habituels de la femme maigre furent tout à coup remplacés par de petits cris et des soupirs étouffés. « Elle n'a pas froid aux yeux, affirma Marsupilania, très prude à ses heures. Ni ailleurs. » « J'imagine que depuis le temps qu'elle hante ce lieu, elle n'a pas dû avoir souvent l'occasion de s'amuser », avança Multimédia, toujours encline à excuser la conduite même inexcusable des autres. « Et qui voudrait se taper ça ? demanda la Belle Monogramme, mettant le doigt sur le point crucial de la situation. Seul ce pauvre Masque de fer, abstinent depuis quelques siècles, pouvait la trouver à son goût. » On trouva la remarque de la Princesse fort déplacée. Mais assez juste. Pendant ce temps, la femme maigre était passée du soupir aux cris de joie.

« J'espère que ça ne va pas durer trop longtemps, fit observer Marsupilania en consultant sa montre. Nous avons une sorcière et un caribou fou à dégommer. Nous avons déjà perdu assez de temps comme ça. » « Nous ne pouvons pas le laisser là tout seul, répondit le caribou magique, qui avait enfin retrouvé l'usage de ses cordes vocales. Il serait incapable de trouver son chemin. Il faut attendre. »

Affirmation qui déclencha un tollé général, vite apaisé par la réapparition soudaine, main dans la main, du Masque de fer et de la femme maigre. « Je ne suis plus ce que j'étais, dit cette dernière. Je suis toujours maigre, toujours femme, mais je deviens la sulfureuse femme maigre, la SFM si vous préférez, c'est moins long. » « Pourquoi cet adjectif ? demanda Myxomatose. Vous n'avez vraiment rien de sulfureux, avec tout le respect que je vous dois. » « Oh si ! fit le Masque de fer avec un sourire. Seulement, c'est une caractéristique bien cachée chez elle. » « Et j'abandonne mon poste, mon baquet et ma planche à laver, continua la SFM. Je viens avec vous à la recherche de Gudule et du caribou fou. » « Vous m'excuserez, mais j'ai besoin de m'asseoir cinq minutes », dit le caribou magique que cette dernière révélation plongeait visiblement dans un abîme de perplexité et il joignit le geste à la parole.

« En fait, dans ma vie de surface, j'avais un autre nom, poursuivit la SFM, décidément intarissable. Je m'appelais Jane B. et je chantais, enfin, j'essayais. Ou du moins, je faisais semblant. Mais j'avais des fans, vous savez. » « Oui, oh, ce n'est pas une référence, murmura la Belle Monogramme. N'importe qui peut avoir des fans. L'auteur de ce conte stupide et nauséabond en a bien, c'est tout dire ! » « Jane B, répéta pensivement Marsupilania. Ce nom ne m'est pas inconnu... Où l'ai-je déjà entendu ?... » La SFM joignit les mains : « Oh, supplia-t-elle, dites-moi que je suis encore connue, et célèbre, même après avoir disparu de la surface de la terre... Cela fait si longtemps que je suis là, avec mon baquet... » « Mais comment êtes-vous arrivée au centre de la terre ? » demanda Multimédia, curieuse et ne dédaignant pas les ragots sans intérêt. « C'est une longue histoire... » commença la SFM, « ... que vous nous raconterez une autre fois, coupa le caribou magique dont le cerveau s'était remis à fonctionner. Puisque vous êtes décidée à nous accompagner, en route, montrez-nous la route qu'a prise Gudule. » « Il n'y en a pas trente-six, répondit la femme maigre. C'est celle-là. » Et elle tendit la main vers l'extrémité de la grotte.

(A suivre)

(Voilà donc réglé le problème de la femme maigre, dite la SFM, ex Jane B. Mais ce revirement est-il crédible ? La SFM ne joue-t-elle pas double jeu ? N'a-t-elle pas profité d'un moment d'égarement bien compréhensible de notre Masque de fer ? Et nos héros ne vont-ils pas se précipiter tête baissée dans un piège ?... Questions angoissantes qui méritent réflexion.)