Magazine Journal intime

Quand la fête ne fait pas société

Publié le 12 octobre 2007 par Argoul

Une fois de plus, samedi soir, nous allons avoir droit à l’obligatoire grand messe festive de la société moderne : la guerre ritualisée et fort rentable des stades, le tout-people qui fait vibrer en faisant vendre, la grande foire démocratique et populiste du déchaînement de brutes salariés. Et voilà le nouveau Souverain Bien qui submerge les vieilles idées de patriotisme, d’élitisme du sport, de fraternité olympique. Nous n’y verrons au contraire que de l’audimat, du jackpot publicitaire et des « analyses » stratégiques des gloseurs patentés. Ceux-là vont amuser la galerie pour savoir « ce qu’on aurait dû faire » ou « comment on a si bien réussi ». La télé-commerce a tout l’art de détourner de l’essentiel : la vie quotidienne, l’éducation des enfants, la décision politique. La « fête », rave ou teufeu, est la dysneylandisation permanente du social. Où le peuple est sommé d’admirer les people, où chacun - même le plus nul - s’exhibe en direct devant les caméras pour tout dévoiler de son intime. C’est à Michel Rocard que l’on a demandé si « sucer » était baiser.

Le tout-média, le tout-marchand, le tout-festif ont une même origine : le « tout va bien Madame la marquise ». Surtout plus aucun tragique : la violence n’existe pas, les conflits sont archaïques, l’homme n’est pas un loup pour l’homme. Non, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Il suffirait « décoincer » pour que la société soit « heureuse » dans ce néo-paradis des amours toujours et partout. Demandez ça aux jeunes des banlieues… Oh, mais surtout ne pas faire de différence, c’est « fasciste » ! Par exemple mêlez l’adulte et l’enfant. Enfin pas trop, c’est à l’adulte de se mettre au niveau de l’enfant – de « bêtifier ». L’enfant n’est pas (encore ?) reconnu comme égal de l’adulte, pédophilie oblige – mais pour combien de temps ? En revanche, mêlez allègrement masculin et féminin, ville et campagne, quais de Seine et plage exotique – tout est dans tout, et réciproquement. le bonheur est à ce prix.

L’apparence obsessionnelle, le jeunisme affirmé, la technique-qui-peut-tout, la fête permanente, la pureté revendiquée, la santé portée aux nues, la transparence radicale de tout et de tous, la tolérance pratiquée comme laxisme ou détournement de regard (surtout lors des agressions dans le métro), l’hédonisme égoïste, égocentrique, ego-valorisé, l’indifférenciation de l’ici et du là-bas, des cultures antichoc dans un magma mondialiste, le droitedelhomisme occidental érigé en néo-colonialisme, le recours au pénal envers tout ce qui gêne (y compris le gène par ADN dûment testé), l’art contemporain ignare, ego-provocateur, infantile pour la plupart – tout cela veut se constituer en Vertu postmoderne. Une vertu qui se voudrait « universelle », bien sûr.

Eh bien elle l’est - tant qu’elle se vend, le dollar n’a pas de frontières. Mais la culture – si. Et la culture compte dans la mondialisation. On voit déjà surgir des entreprises venues d’ailleurs, qui rachètent allègrement ces vieux machins que nous avons mis tant de mal à « réformer » et à « restructurer », jamais assez mondiaux pour avoir la taille rentable, jamais organisés pour sortir du microcosme syndico-national. Ce fut Mittal qui ne fit qu’une bouchée d’Arcelor, et les Russes qui ont mis un pied dans le golem EADS, ou les Chinois qui ont failli racheter Conoco, le pétrole américain. Ces peuples en retard, qui rattrapent la modernité à marche forcée, n’ont pas cette propension occidentale, et si particulièrement française, à dissoudre leur culture dans le « tout-festif » : ils analysent - non pas les matchs - mais leurs intérêts dans le monde ; ils passent du temps - non à jouir en se shootant dans les raves casse-oreilles - mais à travailler pour améliorer leur sort ; ils ne font pas de l’histrionisme télé leur miroir - ils se font beaux par eux-mêmes.

Car presque tous - nos politiques, nos médiatiques, nos commentateurs économiques - nient le principe de réalité. Pour eux, la nature humaine ne saurait être complexe. Tout est simple : « c’est la faute à » et « yaka ».

Cette illusion règne de la politique à l’économique, au social, à la technique et jusqu’à l’art très contemporain. Jack Lang et Jacques Chirac ont porté l’histrionisme à un point haut, en politique. Le relai est pris par Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy : tout est théâtre et médiatique, rien de ce qui fâche ne saurait se discuter entre adultes, mais être plutôt enrobé de paillettes et reporté à de vagues « débats démocratiques » ou « commissions d’études ». Tout le monde sera d’accord à la fin par lassitude, une fois le temps passé. Le zapping permanent de l’hédonisme jouisseur – ici et maintenant - est réputé chasser tout seul n’importe quel « problème ». Il suffit d’être obstiné, de durer - tout ce que le tropisme d’époque ne sait plus faire. Avis aux réformateurs !

Car, pour rester les maîtres, il s’agit de faire de l’ego un centre et de « la cité » le nombril du monde. Ainsi le veut M. Delanoë. Ce n’est qu’ainsi, croit-on, que l’on rassurera le bon peuple d’exister. Surtout les petits intellos à qui l’on a appris à penser un peu, mais qui n’ont pas de place dans la société, faute de désir social d’investir et de créer. L’individu, à la fois parent, travailleur et citoyen, doit être transformé en mouton fasciné par l’exhibitionnisme, flatté en tous ses désirs, en bref décérébré. Chacun le voit : on n’enseigne plus, on fait de l’animation de classe ; on ne travaille plus, on subit les 35 h en faisant « L’éloge de la paresse » ; on n’a plus de débats politiques, on vote pour une performance d’acteur ou d’actrice et l’on obéit aux tabous de partis – qui s’instaurent en Gardiens de la Morale. Seule est laissée à l’individu la jouissance personnelle – et on appelle ça le « Moi ».

Or l’existence est tragique, on le sait depuis les Grecs. Les différences existent, nul être n’est semblable à un autre, et c’est pourquoi le voyage, l’ailleurs, l’exploration, l’aventure, les idées, les sexes sont un attrait de l’existence. Leurs contrastes font penser, ils « élèvent ». Tout comme élever un enfant, planter un arbre ou écrire un livre. Car c’est bien cela la vie : l’imprévisible – tout ce que « la fête » tend à abolir lorsqu’elle est érigée en principe permanent d’une société.

Neither festivities nor entertainment are able to build any society. Tomorrow night, we will have one more a TV entertainment about rugby. But if media men are speaking of patriotism, sport and competition, it will in fact be prime time, marketing and advertising money. It will divert people from today’s problems and give them the games as in the Roman Empire. I feel it is not the best way to lead a country.


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