Magazine Humeur

Quel avenir pour les langues créoles en général et le créole haïtien en particulier ?

Publié le 10 septembre 2009 par 509
Quel avenir pour les langues créoles en général et le créole haïtien en particulier ?
Par Hugues St. Fort
journaliste indépendant
Je termine avec cet article la longue série à caractère vulgarisateur sur la créolistique que j’ai commencée au milieu du mois de juin. La semaine prochaine, je livrerai les détails sur les références que j’ai citées tout au long de ma série ainsi qu’une petite bibliographie annotée pour ceux et celles qui voudraient aller plus loin.
Les causes de l’extinction des langues sont multiples et difficiles à cerner d’une manière précise mais on peut dire que d’une manière générale, une langue meurt quand elle n’a plus de locuteurs, ou quand ses locuteurs refusent de l’utiliser, ou quand elle est dépassée, étouffée par l’émergence et la puissance d’autres langues sur le territoire où elle est parlée. Le scénario numéro1 correspond à des situations courantes qui se déroulent régulièrement en Afrique, en Asie ou en Océanie par suite du non renouvellement de populations âgées. Le scénario numéro 2 correspond au cas de près d’un million de Québécois francophones qui sont allés vivre aux États-unis entre 1840 et 1930 et « qui ont perdu toute résistance à la force d’attraction de l’anglais en se fondant dans la majorité anglophone » Le scénario numéro 3 est ce qui attend tristement la majorité des langues du monde, en premier lieu des langues de certains pays en voie de développement mais elles ne sont pas les seules, quand l’anglais et la civilisation américaine auront fini leur travail de glottophagie et de destruction culturelle commencé après la seconde guerre mondiale.
Dans cette perspective, peut-on considérer que les langues créoles sont des espèces en voie d’extinction ? Tout dépend des langues créoles dont on parle. Des cinq grands types de créole atlantique dont nous avons parlé, les créoles anglais, français, espagnol, portugais et néerlandais, un seul est maintenant complètement éteint. Il s’agit du Negerhollands, créole néerlandais qui était parlé dans les îles Vierges. Les autres créoles atlantiques ne sont pas forcément menacés dans le court terme. Cependant, dans le long terme, il y a de gros nuages noirs qui se profilent à l’horizon de la survie de plusieurs créoles des Caraïbes. Par exemple, je doute fort que les créoles français de la Martinique et de la Guadeloupe puissent survivre au-delà de plus de deux générations, c’est-à-dire après les années 2075 et en tenant compte bien sûr du maintien de la départementalisation dans les Antilles françaises. Toutes les recherches (Prudent, 1993, 2008) ont montré que le créole recule énormément surtout en Martinique et que l’usage grandissant du français dans le discours ordinaire des locuteurs est ce qui caractérise de plus en plus le paysage linguistique antillais. Rappelons que le créole français de la Louisiane a presque complètement disparu et que les locuteurs des créoles français de Sainte-Lucie et de la Dominique n’en possèdent qu’une compétence passive. Ces locuteurs comprennent ce qui se dit en créole mais n’en possèdent pas un savoir étendu pour communiquer pleinement dans cette langue.
Donc, quel avenir pour la variété de créole français parlée par les locuteurs haïtiens en Haïti et dans l’émigration ? Commençons par les locuteurs haïtiens de l’émigration. Poser le problème de l’avenir du créole haïtien dans l’émigration, c’est de demander si les locuteurs haïtiens vont continuer à l’utiliser entre eux et à le transmettre à leurs enfants. Il est difficile de connaître le nombre même approximatif des immigrants haïtiens établis aux États-unis. Selon Stepick & Stepick, Eugene, Teed, et Labissière (2001 : 236), la population haïtienne serait évaluée approximativement à 450.000 personnes en 1990 concentrées principalement dans deux états, New York et la Floride. Aujourd’hui, près de 20 ans plus tard, ce chiffre a certainement augmenté. Nous ne savons pas encore de combien. Mais, il ne serait pas exagéré d’avancer une estimation de 750.000 personnes. Cependant, c’est une population qui doit faire face à des problèmes immenses. Stepick & Stepick, Eugene, Teed et Labissière (2001: 236) affirment que « During the 1970s and 1980s, no other immigrant group suffered more U.S. government prejudice and discrimination than Haitians » (Durant les années 1970 et 1980, aucun groupe immigrant n’a été victime de plus de préjudice et de discrimination de la part du gouvernement américain que les Haïtiens). (ma traduction).
La seconde génération des enfants immigrants haïtiens qui devraient être en principe le meilleur garant de la continuation de la langue créole dans l’émigration (rappelons cependant qu’une tradition bien américaine veut que la première génération immigrante maintienne des liens solides avec sa culture d’origine et connaisse mal la culture et la langue du pays d’accueil ; la seconde génération s’acculture rapidement grâce à la scolarisation, l’influence de la télé et la socialisation avec leurs pairs ; cependant que la troisième génération « oublie » complètement la culture et la langue de leurs grands-parents) se trouve dans une position ambiguë vis-à-vis de leurs racines linguistiques et culturelles. « …many Haitian students develop an ambivalence about their cultural roots, including both an alienation from their parents’ native language and conflict with and frequently alienation from their parents » (beaucoup d’étudiants haïtiens développent une ambivalence à propos de leurs racines culturelles, ambivalence consistant en une aliénation de la langue maternelle de leurs parents et un conflit et fréquemment une aliénation de leurs parents) (ma traduction). Dans ces conditions, on voit mal comment la langue créole haïtienne et la culture haïtienne en général peuvent faire long feu dans l’émigration nord-américaine.
En ce qui concerne la variété de créole parlée par les locuteurs haïtiens en Haïti, tout porte à croire qu’elle a encore de beaux jours devant elle à la fois dans le court terme et dans le long terme. Tout d’abord, la vitalité du créole haïtien en Haïti ne connaît pas de limites. En tant que langue maternelle de tous les Haïtiens nés et élevés en Haïti, le créole haïtien, comme d’ailleurs toutes les langues de communication utilisées par un nombre élevé de locuteurs, sert à tous les besoins manifestés au sein de la société haïtienne.
La question de la langue est au cœur de la question sociale haïtienne. Des deux langues, le français et le créole, qui constituent le traditionnel répertoire linguistique de la société haïtienne, l’une, le français, a toujours fonctionné comme un marqueur de classe, donnant accès à l’éducation et à la mobilité sociale ; l’autre, le créole, a toujours été maintenue au bas de l’échelle sociale et symbolise l’analphabétisme et l’exclusion sociale. Une solution au problème de la langue en Haïti ne règlera pas la question sociale haïtienne, ceci est évident. Mais la question sociale haïtienne ne pourra être redressée sans un certain règlement de la question de la langue dans le corps social haïtien. Dans le cadre d’une politique de développement national et d’intégration sociale, il est vain d’attendre du français qu’il devienne l’outil linguistique qui permettra dans le court terme aux locuteurs haïtiens analphabétisés et illettrés d’accéder au savoir. Cela ne veut pas dire toutefois que le français doit disparaître du répertoire linguistique haïtien.
Contactez Hugues St.Fort à : [email protected]

Retour à La Une de Logo Paperblog

Dossier Paperblog

Magazine