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Les Vanupieds (3)

Publié le 13 septembre 2009 par Plume
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Ils arrivaient à proximité du taudis où ils vivaient lorsqu’ils entendirent les cris. Ils s’arrêtèrent net et se regardèrent… Un voile de tristesse passa fugitivement dans les yeux noirs de France. Encore un que le père probablement ivre tabassait sans vergogne !

« C’est Alissa! » Marmonna Adam en frémissant de colère, comme toujours lorsque de tels cris perçaient ses tympans. France fronça les sourcils :

« Viens ! »

Ils coururent d’une traite jusqu’à la maison.

Dès qu’elles les aperçurent, les deux fillettes de trois et deux ans vinrent se jeter dans leurs jambes, épouvantées. France les laissa à son frère et monta la légère pente menant à la porte entrouverte d’où fusaient les hurlements.

Au bas des marches, un obstacle appelé Andréa lui barra le passage. Assise à même le sol, sa sœur peignait ses longs cheveux blonds en contemplant son reflet dans une flaque boueuse, indifférente aux plaintes comme à l’ordinaire. France attendit un instant. Andréa ne daigna ni lever les yeux ni bouger d’un millimètre pour lui permettre d’entrer. France s’impatienta :

« Laisse-moi passer ! »

Andréa ne répondit pas et continua lentement, comme pour la narguer, à lisser ses boucles dorées. France l’écarta sans ménagement et pénétra dans la maison, sourde à la bordée d’injures que sa sœur lui envoya dans le dos. Toutes deux se détestaient ouvertement.

L’obscurité était pesante. Ebranlée par les cris, les dents et les poings serrés, France longea le couloir et entra sans bruit, le plus discrètement possible, dans la première et la plus grande pièce de la maison… Puis là, dans l’ombre du meuble bas vermoulu qui la masquait au regard du couple, elle assista, impuissante et tremblante, à la scène qui se déroulait à quelque mètres d’elle.

Les parents avaient jeté la petite fille à terre. A chaque sifflement du fouet faisait écho l’hurlement de l’enfant, et à chaque hurlement le rire sadique du père alors que la mère, affalée sur une chaise, l’encourageait à frapper avec toujours plus de cruauté le dos innocent. Agrippée aux pieds de la table, la fillette pleurait et suppliait, secouée de spasmes violents et désordonnés :

« Père, arrête… arrête, père… »

Mais le père, titubant sous les effets de l’alcool qui empestait la pièce, s’acharnait sur ce frêle corps et riait comme un damné.

Alissa avait tout juste six ans et de longs cheveux blonds. Blonds comme la chevelure de tous les autres. A part la sienne, à elle, l’aînée, très noire, qui lui faisait souvent douté de l’origine paternelle de sa venue au monde. La mère avait croisé la route d’un français avant de prendre le père comme époux. Mais ce n’était là qu’une histoire.

Soudain, le père attrapa l’enfant par le cou et la remit brutalement sur ses pieds. L’espace d’une courte seconde, le visage tuméfié d’Alissa apparut… Puis elle se tordit de douleur et s’effondra à nouveau. Un frisson parcourut les épaules de l’aînée. Elle avait eu le temps de voir le filet de sang qui coulait le long de son menton et l’entaille qui barrait son front…

Apparemment satisfait, le père posa la lanière de cuir ensanglantée sur la table :

« Elle a eu sa correction, cette saleté ! »

Puis il attrapa le bras de la mère et l’obligea à se lever :

« Viens à côté, toi ! »

Roucoulant de plaisir, elle le suivit avec empressement. Le cœur soulevé de dégoût, France pensa : ils vont encore faire un enfant !

Dès qu’ils disparurent dans l’autre pièce, elle sortit de l’ombre et s’approcha vivement de sa petite sœur, immobile face contre terre. Une sourde angoisse lui serra la gorge : et si le père l’avait tuée ?


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