Magazine Journal intime

L'infirmier est un dealer

Publié le 14 septembre 2009 par Dan
L'infirmier est un dealerUne sonnette retentit dans un service plutôt calme. Une aide-soignante se jette dans la chambre et en ressort aussitôt pour me crier:

-Dan, la 22 a mal. Elle veut un calmant, tu peux y aller?
Je m'approche d'elle pour éviter d'en faire profiter tout le couloir et lui demande:
-Comment ça?! Elle veut un calmant?!
-Et bien, elle demande que tu lui fasses de la morphine...
-Ok, j'y vais, merci.

C'est la situation type que j'affectionne particulièrement et qui m'arrive de plus en plus souvent. Un patient sonne car la douleur semble venir. Il n'est pas encore sûr d'avoir mal mais on ne sait jamais. Des fois qu'elle surgisse derrière le lit et le morde à son insu....

Lorsque je passe alors la porte de leurs chambres, ils exigent d'emblée la morphine sans m'écouter ou sans me laisser gérer leur douleur.

Cette fois-ci, il n'y a pas eu d'exception à la règle. A peine entré dans la chambre, la patiente me saute dessus et me crie:

-Faites moi de la morphine!
-Euh, bonjour madame...
-Je veux de la morphine, maintenant! J'ai mal!
D'un calme olympien et d'une intonation monocorde, je pose la question que tout bon infirmier pose dans ces cas-là:
-Sur une échelle de zéro à dix, si zéro correspond à "pas de douleur" et dix à une douleur "insupportable", vous mettriez votre douleur à combien?
Et inlassablement, les patients, agacés, énervés, me répondent la même chose:
-Je ne comprends rien à votre question. Faites-moi de la morphine, je sais que j'y ai droit! C'est le Docteur qui me l'a dit!
- Si le Docteur vous l'a dit...J'essaie simplement de mesurer l'intensité de votre douleur, alors combien lui mettriez-vous?
-Je ne sais pas, moi, trois.... C'est bon? Je peux avoir ma morphine?

Malheureusement, trois, ce n'est pas suffisant...mais je sais que si je ne lui donne pas ce qu'elle veut, elle va se plaindre au médecin, qui reviendra vers moi dans le but de me mettre un tampon et m'expliquer la nécessité de la prise en charge de la douleur, comme il sait si bien le faire.

En ce qui me concerne, aujourd'hui, je ne parle plus de "prise en charge de la douleur", je parle carrément de "croisade anti-douleur" et de "package anti-douleur".

Lorsque je tombe sur quelqu'un d'exigeant, qui ne semble pas avoir réellement mal et qui me demande la morphine avec le sourire, j'administre donc le "package anti-douleur". Sans négocier un autre calmant moins fort car ça ne servirait à rien, la personne étant trop obtue. Ça m'évite alors de me faire agresser par le patient, qui, à coup sûr, dira à tout le monde que j'ai refusé de lui faire de la morphine et donc que je suis un mauvais infirmier...

Je ressors alors de la chambre 22, me dirige dans la salle de soins et je prépare, conformément à la presciption écrite qui dit "Si EVA >3, faire:"

-Un gramme de Perfalgan. (Paracétamol)
-Un profénid 100. (Anti Inflammatoire Non Stéroïdien)
-Dix mg de morphine sous-cutané

et si insuffisant, faire un T20 (comprenez Tranxène 20mg).

C'est ça le package! Bête et discipliné comme je suis, j'administre donc la totalité de la prescription...

Deux secondes après l'avoir fait, la patiente me regarde et me dit qu'elle n'a plus mal. Je souri et me garde bien de lui dire que les médicaments n'agissent pas aussi vite que cela...

Deux minutes plus tard, la patiente s'endort paisiblement... certainement soulagée par mon efficacité et impressionnée par mon arsenal anti-douleur.

Deux heures plus tard, l'aide-soignante vient me voir et me dit:
-Hey, la 22 à vomit partout et elle raconte n'importe quoi!! (Vive la morphine et le tranxène...)
-Elle a encore mal?
-Ah non! Là c'est bon, elle n'a plus mal! Mais alors, elle bat la campagne et raconte plein de bêtises! Je ne te remercie pas pour les draps, il faut que je la change entièrement!
-Oui, mais au moins, elle a plus mal et on ne se fera pas engueuler parce que, soit disant, je ne voulais pas administrer la prescription du Docteur...
-Tu ne peux rien lui faire contre les nausées? Parce que là, elle va vomir tripes et boyaux. En plus, sa voisine de chambre n'arrive pas à dormir et elle ne supporte plus ses bêtises. D'ailleurs, elle a demandé si tu pouvais lui donner un somnifère.
-Si, si, j'y vais...

Savez-vous comment sont surnommés les infirmiers en prison? Les dealers....Si, Si, c'est vrai!

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LES COMMENTAIRES (1)

Par sandy
posté le 08 juillet à 16:59
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Alors là bravo! ça me fait plaisir de voir qu'il y aie quand même des infirmiers censés. Moi, je sors d'une expérience contraire: suite à une très forte réaction à la cortison, je me suis retrouvée hospitalisée en milieu psychiatrique très fermé, sans possibilité de voir mes proches. On vous médicalise selon le lieu ou vous l'on vous soigne, résultat: entre les spasmes, les pertes de connaissance et les hallucinations, la seule présence d'esprit que j'ai eu, c'est de dire non à mes infirmiers quand ils voulaient me refiler de l'entumine sous prétexte de me soulager. Je me demande toujours si c'était vraiment pour me soulager ou pour les soulagers eux. Effectivement, quand j'ai vu la tête de certains autres patients, ils doivent être beaucoup plus faciles à gerer complètement défoncer. Quant à moi, je suis redescendue au bout de deux jours. Les neurones plus ou moin en place (je récupère toujours)mais en ayant perdu beaucoup en la médecine allopathique.

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