"Orange m'a tuer"

Publié le 14 septembre 2009 par Mclanta
Mon boulot, en ce moment, est de raconter des histoires (vraies), avec des images qui bougent, à la télévision.
 
Pour celà je me mets dans la peau de ces personnes (que je n'ôse appeler "personnages", puisqu'elles existent) et je mets en scène des reconstitutions des moments clés que je dois évoquer. Déformation professionnelle ou pas, il ne se passe pas une journée en ce moment où j'imagine par quelles images je pourrais raconter tel ou tel fait d'actualité.
Ainsi, ce week-end, c'est cette histoire qui m'a frappée.
Elle est jeune, 32 ans. L'âge des premiers engagements, de la construction d'une famille, d'un destin, d'une maison. L'âge des emmerdes aussi : plus de charges, plus de responsabilités, plus de pression.
Vendredi, elle part comme tous les matins à son bureau. Elle a pris une douche, s'est habillée de frais, a arrangé sa coiffure, s'est tapé le métro ou les embouteillages, et elle a poussé la porte pivotante hyper chic de l'immeuble du 17ème arrondissement de Paris dans lequel elle occupe un poste de travail. Elle est chargée de clientèle au service recouvrement chez Orange.
Elle est entrée en réunion. Là, elle a pris des notes et écouté les dernières mesures de réorganisation des services. La réunion s'est achevée. Elle est retournée à son bureau, a ouvert la fenêtre, et s'est jetée dans le vide, du 4ème étage. Cette jeune femme est décédée peu de temps après à l'hôpital.
Deux choses sont marquantes :
la date, 11 septembre, qui me fait penser à ces malheureux qui ont choisi le saut de l'ange plutôt que les flammes;
le chiffre, 23 : c'est le nombre de suicides chez France Telecom depuis février 2008.

 23 employés d'une société se tuent sur leur lieu de travail en 21 mois…Plus d'un par mois! Sans compter les tentatives de suicide qui n'apparaisent pas dans les statistiques. Ironie de l'histoire, cette jeune femme s'est tuée le lendemain de l'annonce par la direction d'un plan pour lutter contre la vague de suicides dans l'entreprise…
Rappelons que cet été 6 malheureux ont choisi la mort plutôt que le travail à France Telecom. L'un d'eux, qui s'est tué le 14 juillet à Marseille, a laissé ces mots : «Je me suicide à cause de mon travail à France Télécom. C'est la seule cause. La désorganisation totale de l'entreprise m'a totalement perturbé. Je suis devenu une épave, il vaut mieux en finir».

Et je revois la jeune femme de vendredi. Le matin, elle était vivante. Le soir, elle avait choisi la mort. Pour elle, l'atmosphère à son bureau était devenue aussi irrespirable que celle du world trade center en flammes. Les fumées étaient dans sa tête. Elle s'est sentie dans une impasse, totalement. Pour en arriver là, à préférer sauter plutôt que démissionner (qui est un genre de saut de l'ange, sans bitume) on imagine la dose de désespoir, de peur, de terreur qu'elle a dû supporter des mois durant.
J'ai une pensée pour sa famille, et je suis bien contente de ne pas être chez Orange.
Noir
Générique de fin.