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Le regard porté sur le dehors....

Publié le 15 septembre 2009 par Araucaria
"Un jour, j'ai croisé un ancien détenu dans la rue. Nous avons eu de la gêne à nous parler, alors que là-bas nous le faisions naturellement. Et puis à la fin, tandis que je lui disais au revoir, il a murmuré : "La prochaine fois, j'aimerais mieux que vous ne m'adressiez plus la parole, que vous fassiez mine de ne plus me voir. S'il vous plaît. Je ne veux plus y penser."
(...)
"Je rencontrais des gardiens parfois le week-end, en ville, dans des magasins, des supermarchés. La plupart d'entre eux portaient le pantalon bleu marine et la chemise bleu pâle de service. Ils étaient avec leurs enfants, leurs épouses. Ils avaient une vie. Dans leurs mains, ils agitaient leurs clefs de voiture, comme ils agitaient la semaine les clefs des portes de la prison."
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"Le regard porté sur le dehors. Le détenu que je surprenais dans la salle de cours, entré avant moi et qui, par la fenêtre, regardait les voies de chemin de fer, la rue, le pont des Fusillés, les voitures, les piétons lointains courbés sous la pluie, les gifles de la pluie sur les trottoirs, et qui fermait les yeux, ne m'ayant pas entendu venir, et respirait très fort, très longtemps, l'air mouillé, l'air de ce dehors-là qui passait les barreaux et entrait dans la salle."
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"Mon usure, au fur et à mesure que les années passaient. Ma fatigue à me rendre à la prison, et puis ce jour, où je suis resté dans ma voiture, devant l'établissement, sans pouvoir me décider à y entrer, sans pouvoir non plus me décider à partir. Je suis resté ainsi, derrière le volant, sans rien faire sinon me dire que non, décidément, je ne pouvais plus continuer."
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"Tous les gens admirables et humains que j'ai pu croiser pendant onze années, en prison, tandis que j'allais y parler de littérature, trois fois par semaine : gardiens, détenus, visiteurs, travailleurs sociaux, instituteurs, magistrats, personnels administratifs, personnels de santé, gradés. Oui, admirables et humains, il y en avait.
Tous les gens médiocres et pervers que j'ai pu croiser pendant onze années, en prison, tandis que j'allais y parler de littérature, trois fois par semaine : gardiens, détenus, visiteurs, travailleurs sociaux, instituteurs, magistrats, personnels administratifs, personnels de santé, gradés. Oui, médiocres et pervers, il y en avait."
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"Mon temps terminé, je sortais de la prison. Je ne sortais pas de prison. Jamais je n'ai senti aussi intensément dans la langue l'immense perspective ouverte ou fermée selon la présence ou l'absence d'un simple article défini."
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"Le bruit des trousseaux de clefs, des clefs longues et polies par les usages incessants. (...) Ces trousseaux qui me faisaient  toujours songer à des sésames de contes. Mais de quels contes?"
Philippe Claudel - Le bruit des trousseaux - Le livre de poche n° 3 104

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