La semaine dernière, je donnais une conférence dans une Grande Ecole, à Paris. Ce n’était pas la première fois, pourtant j’étais comme d’habitude, un peu stressée. Je ne peux me départir de cette impression d’être un imposteur. Moi qui n’ai pas le certificat d’études, qu’ai-je à apprendre à ces étudiants qui sont le fleuron de l’intelligentsia française, la fine fleur de la politique, les ministre - les présidents ? - de demain… Quelques petites expériences rigolotes de journaliste, peut-être… Bref, j’étais là. Je devais leur parler des dictateurs déchus que l’on juge dans les tribunaux nationaux ou internationaux. Au cours de mes recherches préparatoires, j’ai croisé à nouveau Milton Obote, le premier président de l’Ouganda indépendant.
J’aime bien ce genre de personnage. Il était l’un des derniers « pères » des indépendances africaines chèrement gagnées dans les années 1960. Il est mort d’une maladie rénale dans un hôpital de Johannesburg, le 10 octobre 2005. Il avait 80 ans et vivait en exil en Zambie depuis vingt ans, après qu’il a été renversé par le commandant en chef de son armée, le général Tito Okello, aidé d’un fidèle supplétif, le brigadier Bazilio Olara Okello. Le Conseil militaire qu’ils ont alors formé n’a pas résisté un an à l’avancée de la guérilla conduite par l’actuel président, l’inénarrable Yoweri Museveni. Ce dernier, eu égard à la personnalité d’Obote, lui a tout de même accordé des funérailles nationales.
Car l’homme était un “personnage”. Dernier survivant, avec le Zambien Kenneth Kaunda, des cinq Africains de l’est à avoir arraché leur indépendance aux Britanniques - les trois autres étant Hastings Kamuzu Banda du Malawi, Julius Nyerere deTanzanie et Jomo Kenyatta du Kenya - il est le premier à avoir regagné le pouvoir par les urnes, en 1980, neuf ans après en avoir été chassé.
Ce n’est pas le seul « exploit » à mettre au compte de ce fils de chef, né le 28 décembre 1924 à Akoroko, au sein de la tribu Langi, installée dans le Nord de l’Ouganda. Les Nordistes étaient considérés comme « arriérés et sans éducation » mais le statut social de Milton Obote lui avait permis de faire des études. Devenu un jeune instituteur ambitieux, il fait son apprentissage politique au Kenya, avant d’entrer dans l’administration coloniale. En 1960, il fonde le Congrès du peuple ougandais (UPC), un parti composé de plusieurs ethnies minoritaires. Deux ans plus tard, c’est l’indépendance et il devient Premier ministre, abandonnant le rôle de chef de l’Etat – purement honorifique – au roi Mutesa II, de la puissante ethnie majoritaire Buganda. En 1966, il se débarrasse du roi par un sanglant coup d’Etat et s’autoproclame président.
La première république ougandaise est gouvernée d’une main de fer. Milton Obote se tourne vers le socialisme, non par idéologie mais par souci de construire un Etat qu’il puisse contrôler. En 1968, il édite son manifeste, la Charte de l’homme ordinaire (ça ne s’invente pas), dans laquelle il explique son projet de doter ses compatriotes d’un régime où ils ne seraient ni trop riches, ni trop pauvres. Deux ans plus tard, c’est le « socialisme à 60 % », c’est-à-dire la nationalisation de 60 % des entreprises privées. Une façon d’étendre son emprise. Cette politique lui coûte le soutien des Occidentaux, Britanniques et Américains au premier chef. Ces derniers, toujours très forts dans leurs intuitions politiques, appuieront discrètement le général Idi Amin Dada jusqu’à son coup d’Etat, le 25 janvier 1971, effectué en l’absence du président, qui assistait à un sommet du Commonwealth, à Singapour. Milton Obote trouve alors refuge en Tanzanie, sous la protection de son vieux compagnon Julius Nyerere. Mais ô surprise, Idi Amin déçoit les espérances et, en avril 1979, l’armée tanzanienne envahit Kampala pour mettre fin à ce qui est devenue une tyrannie sanguinaire. C’est officiellement par les urnes qu’Obote regagne son pouvoir perdu. Une première… Tout de même, il est de notoriété publique que les élections ont été largement truquées.
Dans un pays traumatisé par dix ans de dictature, Obote renoue avec ses vieux démons marxistes – pour ne pas dire staliniens – et joue sur le parti unique et les divisions sociales et ethniques. Dans les fourgons des Tanzaniens se trouvait Yoweri Museveni, qui se considère alors comme le grand perdant du retour d’Obote. La rébellion qu’il va conduire se soldera par le départ du vieux chef, en 1985. De son exil zambien, il garde un œil sur son parti et va jusqu’à envisager un retour au pays. Museveni le prévient qu’il ne s’y opposera pas, mais qu’il devra répondre des 300 000 morts que son régime a coûté. Prudent, Obote préfèrera son exil doré zambien. Après Mutesa II, Idi Amin Dada et Yusufu Lule, il est le quatrième chef de l’Etat ougandais à mourir en exil.