Il nous a fallu distinguer parmi des multitudes d'objets orgiaques lesquels nous convoitions, desquels nous ne saurions plus nous passer pour vivre pleinement ce qui était sans profondeurs, cette vie de joies vaines. Enfant nous nous soumettions par le subterfuge du mensonge à l'appât que l'on tendait, presque à portée de nos rages mornes : A-tu été bien sage ? Enfant nous regardions autour de nous la sur-brillance des procédés de l'envie. Qu'ils étaient grossiers. Qu'elles étaient grossières les ficelles qui retenaient la "queue de mickey". Qu'elle était déjà débile cette rage de vouloir être aimé pour ce pire qui gouvernait tout. Tu l'as eu mon chéri ! Nous l'avions eu, cette étoupe de laine, ce chasse mouche sans esprit, nous l'avions eu et c'était nous qui venions de nous faire avoir. Mais la joie criarde de la fête foraine, la fête qui plus sûrement que toute autre invention humaine, vous fait les poches, démonte au petit matin et s'enfuit alors que tout le monde dort et rêve qu'il la eu, que c'est lui qui l'a eu et pas l'autre, cet autre qui ne méritait pas. La joie criarde nous vidait le coeur et nous forçait à aboyer après tout ce qui n'était pas notre bonheur falsifié. La morale veillait pourtant, à chaque fois que nous laissions tomber un objet adoré, la morale se chargeait de vérifier que nos mains étaient propres, nos ongles taillés et qu'après nous allions bien faire notre prière. Que ceux qui se targuent d'avoir échappé au rites (Dieu merci!) ne rient pas trop fort, le catéchisme qu'on leur a enseigné n'est pas moins risible. A contempler souvent les effets de leur nihilisme égoïste, je me demande pourquoi Dieu créa le reflet, puisqu'ils n'en tirent pas même un tant soi peu d'amour.
Et puis comme rien ne s'arrête à l'enfance, au dressage et à la récompense due aux hypocrites, ils nous a fallu désigner ceux par qui nous allions afficher notre réussite, ceux que nous honorerions, en tant que morts, on pourrait leur faire faire n'importe quoi, à genoux devant eux mais l'esprit vif et prompt à moquer ce par quoi ils nous gouverneraient sous le masque divin des idoles. Et là une liste déjà s'allonge, une liste industrieuse, toute soufflant le soufre, les acides, les odeurs de sainteté, les abstractions philosophiques, le méat suppurant d'un dieu laid. Laid comme un Dimanche aux abords des parkings. Nous nous privâmes, pour un peu de paix usurpée, de la joie des bêtes. Et nous nous mîmes à empiler des croix sur des croissants, des croissants sur des étoiles de David, des S redoublés sur des faucilles et des marteaux, des doctrines malingres sur des diktats risiblement assassins; Et les uns disaient : Dieu est avec nous ! Les autres répondaient : Dieu ? Mais il n'existe pas. Ce à quoi avec un peu d'humour, ceux qui pendant ce temps étaient partis à la pêche à la ligne, répondaient : C'est pour cette raison qu'il est avec eux et en vous. Tiens, j'ai une touche ! Et la liste toujours s'allonge, de la terre à la Lune et de la Lune au néant, avec billet de retour assuré pour le Dimanche d'après la sainte apocalypse. Nous avons fait ainsi, oubliant que dans l'enfance nous jouissions en secret d'échapper parfois à l'épreuve du bain et de puer comme l'original que le débris d'objet fait rêver à l'ailleurs, nous avons échangé le besoin de nous appartenir contre les murs muets du contentement de soi. Et ainsi sains et saufs, au bout de la table dressée par la solitude, nous jouissons en souffrant de vivre sans aimer, sans l'être, même secrètement.
Ce matin, dans les rues de la ville, en bas près du centre, j'ai vu des enfants vendre leurs jouets et s'agiter fébrilement autour de quelques pièces qu'ils comptaient et recomptaient. C'est attendrissant un enfant qui a déjà compris que même les rêves ça peut se monnayer.