Des cailloux – partie 03

Publié le 21 septembre 2009 par Eleken

Le jour s’était assombri quand Lornbeck fit finalement surface de la cave. Il avait passé longtemps à rester silencieux, pleurant sans bruit en bas dans la cave. Tellement longtemps que l’officier qui attendait en haut avait fini par s’en inquiéter et était venu s’enquérir de nouvelles en haut de l’escalier. Il n’osa cependant pas descendre ce qui laissa à Lornbeck suffisamment de temps pour se reprendre et répondre qu’il continuait la relève d’indices. Cela intrigua l’officier car il ne semblait pas y avoir là une affaire requérant tant de temps mais il ne se permit pas, loin de là, d’émettre le moindre commentaire. Le médaillon glissé au creux de sa poche, Lornbeck avait demandé au jeune officier que fût envoyé dès que possible le lieutenant Alpeed pour relevé les indices près de la chaudière. Lornbeck avait en effet, quand il avait retrouvé sa lucidité, relevé des petits éclats blancs devant et sur le pourtour de la porte de celle-ci. Il n’en était pas sûr, mais il pensait qu’il pouvait s’agir d’éclats d’os. En vérité, il en était presque certain, son instinct l’orientant vers un possible tueur récidiviste. Sa femme, il en était sûr, était l’une de ces victimes. Il devrait toutefois garder ce point secret s’il ne voulait pas que le commissaire Haustatsh lui retire l’affaire un peu trop vite.

Une douleur le vrilla au niveau de l’estomac quand il s’engagea sur les marches ralentissant un peu plus son pas trainant. La maladie ne lui laisserait plus de répits jusqu’à sa mort. Il le savait. Il y était résigné depuis de longues semaines. Mais de là à supporter cette douleur. Chaque pas le conduisant au rez-de-chaussée augmenta sa colère. Le désespoir qui l’avait submergé en bas se muait en haine contre le libraire. En haine contre ces assassins qui laissaient derrière eux de trop nombreux cadavres. Sa femme avait disparu est, en quelque sorte, il avait finit par en faire le deuil en comprenant qu’il était lui-même proche de la fin. Il n’aurait probablement pas réagit différemment s’il l’avait découverte heureuse avec des enfants et un autre homme. Elle n’en aurait pas était moins morte à ses yeux.

Il donna ses ordres d’un souffle court à l’officier en poste. Son bras, fébrile, le soutenait appuyé sur le comptoir. Sa chemise se collait à sa peau sous l’effet de la sueur. Il se sentait vieux. Il se savait finit. Son corps ne l’accompagnerait pas beaucoup au-delà de cette enquête. Un homme sent quant il va mourir. Lornbeck le sentait à cet instant précis. Et cela le soulagea plus qu’aucune autre nouvelle. Cette vie misérable se terminait. Rien, aucune peur, ne pourrait l’empêcher de terminer cette enquête.

« Après avoir contacté Alpeed, dit-il, envoyez le légiste récupérer les deux corps ce soir et par pitié fermez cette porte en partant et laissez moi les clefs à mon bureau au commissariat pour que demain je puisse revenir si besoin est. »

Le jeune homme se renfrogna devant cette série d’ordres débités en vitesse et sans aucune politesse. Il confirma les ordres et ferma derrière lui en partant, marmonnant sur sa soirée foutue, tout ça pour trouver ce lieutenant et le légiste. Le pire étant de devoir revenir pour récupérer les corps sans pouvoir donner la clef au légiste. Une affaire qui aurait pu se faire plus tôt si le gros bonhomme s’était un peu plus pressé dans la cave. Il espérait ne plus entendre parler de ce type. Il ne l’aimait vraiment pas.

Quand Lornbeck arriva au commissariat, après un nouveau voyage en fiacre, son foie le faisait horriblement souffrir. Il n’eut pas de répit. L’officier du matin vint à sa rencontre à peine arrivé.

« Bonsoir, le commissaire veut vous voir immédiatement, Inspecteur. »

« Il ne perd pas de temps dites-donc », répondit hasardeusement Lornbeck. « Excusez moi jeune homme, mais il ne me semble pas vous avoir vu ici avant aujourd’hui, vous êtes nouveau ici non ? »

« Je suis en poste ici depuis trois semaines monsieur. Officier Abberline, Frederick Abberline monsieur. »

« Tant que ça, répondit Lornbeck, surpris par sa propre défaillance, est bien Abberline, tachez de me laisser une seconde pour respirer la prochaine fois. »

Le jeune officier fut piqué au vif mais tacha de le montrer le moins possible. Il s’excusa et tourna les talons, contrôlant de son mieux la colère qui le taraudait de répondre à ce gros bonhomme qui restait un de ses supérieurs.

Haustatsh était tout le contraire de Lornbeck. A peine plus âgé que lui, pas encore cinquante ans, il respirait la santé. Son corps était celui d’un homme en pleine forme, s’astreignant à un exercice quotidien et à une hygiène de vie simple et sans abus. Etait-ce pour cela que, du premier jour où les deux hommes s’étaient rencontrés, il n’avait jamais pu s’apprécier ? Tout juste se contentaient-ils d’une politesse de rigueur sans jamais rien échangé sur leur vie.  Pour quelqu’un comme Haustatsh, il ne faisait aucun doute que la femme de Lornbeck avait quitté son inspecteur pour fuir vers une vie moins sordide, probablement avec un autre homme qui aura su se montrer plus agréable à l’œil et à la verve. Ce n’est, en effet, pas un homme comme Lornbeck qui pouvait rivaliser de poésie. Bien qu’aimant et attaché à sa femme, il n’a jamais su le montrer et distiller cet amour. Il rentrait le soir, mangeait ce que sa femme avait préparé. Parfois il ne rentrait pas du tout, occupé sur une affaire ou entre les mains frivoles d’une putain des quartiers pauvres. Non, Haustatsh n’aimait pas Lornbeck, tout les opposait. Lui avait une femme et quatre enfants en pleine forme, il était svelte et sa langue était agréable à l’écoute.

Lornbeck frappa à la porte ouverte et entra sans attendre d’y être invité. Haustatsh fit mine de ne rien remarquer et anticipa le geste déjà entamé de son inspecteur en l’invitant à s’asseoir. Le commissaire regarda Lornbeck droit dans les yeux. Scrutant le regard de cet homme qui ne semblait pas fait pour être dans la police. Son teint jaunâtre indiquait qu’il souffrait du foie, ce qui ne l’étonnait pas quand on voyait la corpulence du bonhomme. Il savait néanmoins que, derrière cet aspect peu avenant et son comportement d’asocial, Lornbeck était un bon inspecteur. Il n’empêche qu’il ne l’aimait pas et qu’il ne ferait rien pour le soulager de ses souffrances morales ou physique.

« Dites-moi Lornbeck, que pensez-vous de l’affaire ? Est-ce réglé ? »

« J’en doute. Il y a là bien plus qu’une affaire de double homicide ». Et Lornbeck passa le quart d’heure suivant à expliquer au commissaire ses impressions sur l’affaire, omettant logiquement de mentionner le médaillon et par la même de préciser la nature personnelle que revêtait l’enquête. A part cela, il dit tout. Les deux strangulations distinctes, les deux auteurs présumés des deux meurtres. Le libraire et un inconnu restant à découvrir. Il signala également les éléments troublants, les morceaux dans la chaudière, l’absence de traces concordantes. Ses convictions profondes.

« Vous croyez à un tueur habile et compulsif, répétant ses crimes par envies ? » le coupa Haustatsh. Son ton n’était pas celui d’un homme non convaincu, il cherchait juste à déstabiliser Lornbeck.

« Oui monsieur. » L’inspecteur n’ajouta rien. Il savait que s’il essayait de justifier ses conclusions avec le peu d’éléments qu’il avait, Haustatsh utiliserait son argumentaire contre lui en démontrant son absence de point fort. Le commissaire attendit et, voyant que cela ne servait à rien, continua.

« Ces cas sont bien rare pourtant Lornbeck. Vous dites que vous avez envoyé Alpeed sur le terrain. Et bien attendons qu’il fasse sont rapport.  Nous verrons ensuite. »

Lornbeck se réjoui intérieurement, Haustatsh ne pourrait pas l’empêcher d’enquêter, il avait gagné la partie.

« Monsieur, dans l’attente j’aimerais dès demain matin, me rentre à la maison du libraire. Peut-être y trouverais-je des preuves étayant mes suppositions. Au moins il découvrirais-je peut-être  la nature de l’homme avec la victime et éventuellement avec son propre meurtrier. »

« Faites donc, mais si l’affaire est ce que vous dites, ne pourchassait pas trop longtemps l’agresseur du meurtrier, il n’aura fait que justice. En tout cas, je vous laisse trois jours à compté de demain. Si cette affaire prend trop d’ampleur ou bien si par votre faute elle n’avance pas, je la transférerais à un autre inspecteur plus vif. »

Lornbeck encaissa sans broncher. Il s’attendait à cette pique. Il avait l’habitude d’être considéré comme un raté par son supérieur. Mais il n’avait pas l’intention de laisser cette affaire lui passer sous le nez. Il voulait savoir ce qu’il était advenu de sa femme et comptait bien avoir ses réponses demain matin.

Il prit congés de son supérieur et rentra chez lui. Quand Lornbeck se coucha se soir là, il était pâle, en sueur, fatigué. La douleur à son estomac était pire que tout, même après quatre whiskies secs. Il dormit peu et le peu qu’il arriva à dormir fut d’un sommeil enfiévré et emplit de cauchemars dans lesquels il voyait sa femme hurler dans le feu de la chaudière, le petit libraire se tenant à ses côtés, l’empêchant de la sauver. Il se leva en retard le lendemain. Une sueur froide lui collant au front. Il dut se faire violence en se débarbouillant à grandes eaux glaciales pour arriver à s’éveiller de ses cauchemars. Il eut du mal à s’habiller à cause de la douleur. Il bu au goulot de grande lampée de whisky avant de partir pour le commissariat.

Quand il arriva à son bureau, un peu trop tard, il trouva une lettre sur son bureau. Elle était de l’officier qui l’avait secondé à la boutique du libraire. Le légiste l’attendait à la morgue. Il ferait l’autopsie se matin et il pouvait y assister sur les coups de huit heure trente. Lornbeck regarda sa montre à gousset. Il serait en retard. Tant pis, il arriverait pour avoir les conclusions du légiste. De toute façon, il n’attendait pas grand-chose que de l’autopsie. Après, il se rendrait à la maison du libraire.

Lornbeck chercha Alpeed des yeux mais ne le trouva pas. Tant pis, il suivrait son instinct.

Il plongea la main dans sa poche et serra le médaillon qui se trouvait là. Un sentiment étrange l’habitait depuis la veille. Une sorte de désespoir furieux. Il ne souciait plus de sa vie désormais. Il trouverait le tueur du petit libraire et vengerait son honneur en l’arrêtant. A travers se geste, il sentait qu’il aurait la satisfaction d’avoir agît pour sa femme. Et pour lui.

Lornbeck remit son chapeau et fila vers la morgue aussi vite que son corps acceptait de le pousser.

Il ne lâcha pas le médaillon du trajet.

— Eleken,
Je l’ai écrit un peu vite, j’espère que cette partie de transition comblera l’attente