Paroles d’un Evêque.
D’un Evêque français.
Mon Evêque,
Monseigneur Jacques Ménager,
alors Evêque de Meaux.
[Juillet 1971].
POURQUOI ET COMMENT JE SUIS ALLE A ECÔNE
Avant d’arriver à cette date de juillet 1971, date à laquelle j’étais Directeur du Séminaire d’Ecône, et d’évoquer les événements décisifs de 1972, un an plus tard, il est nécessaire de faire un petit saut en arrière, pour bien comprendre le déroulement des choses.
La première question qui se pose est en effet la suivante : pourquoi et comment ai-je été amené à aller à Ecône ?
Ma décision de quitter la France, l’Eglise de France, et de me joindre à Monseigneur Lefebvre, ne fut pas le fruit d’un caprice, mais le résultat d’une décision prise après mûre réflexion, conséquence de quatre années de ministère dans le diocèse de Meaux, au petit séminaire Sainte-Marie de Meaux tout d’abord, pendant trois ans, puis à la paroisse Saint Jean-Baptiste de Nemours ensuite, une année environ.
Après trois années de “purgatoire” au Séminaire Saint-Sulpice, à Issy-les-Moulineaux, que j’ai déjà évoquées (1).Le petit-séminaire Sainte Marie de Meaux
J’ai été ordonné prêtre le 25 juin 1966, au titre du Diocèse de Meaux. Quelques semaines avant l’Ordination, l’Evêque, de passage à Saint-Sulpice, m’annonçait qu’il me nommait au petit séminaire Sainte-Marie de Meaux, en ces termes : « Je vous donne carte blanche, vous devez y remettre de l’ordre, de la discipline et de la spiritualité, et vous occuper plus spécialement des séminaristes et des Dimanches Apostoliques ».
Le Séminaire Sainte-Marie était un séminaire « mixte » en ce sens qu’il accueillait des séminaristes, mais aussi des élèves et des étudiants non séminaristes. Il ne tarda pas à devenir « mixte » au sens complet du mot, pour les classes de terminale.
Mon arrivée fit sensation : j’étais jeune alors, 29 ans, et je portais la soutane. Il y avait un autre prêtre qui portait la soutane, le Père Taroux, professeur en classe de Première. Mais il était « âgé », on le lui pardonnait… Ils sont toutefois parvenus à le faire se mettre en clergyman, après mon départ.
Sensation dans le corps professoral, prêtres professeurs, et professeurs laïcs, mais aussi chez les élèves et les étudiants, et en particulier chez les séminaires des « « grandes classes ». De fait, Monseigneur Ménager l’avait bien vu, il y avait un grand vide spirituel, une absence de formation, de discipline. L’arrivée d’un « nouveau », en soutane, attira tout particulièrement les séminaristes les plus grands, ceux qui étaient censés entrer à Saint-Sulpice, mais qui en avaient déjà perdu toute envie, après y avoir fait quelques visites ! Le peu qu’ils en avaient vu leur suffisait. Et je les comprenais très bien.
Ils se regroupèrent ainsi autour de moi, changèrent de directeur de conscience, ce qui est toujours un drame, surtout quand certains prêtres font la « chasse aux pénitents ». Et notamment le Directeur des Vocations, le Père Duranton, professeur de Lettres également pour les 3° et 2 : il valait mieux se mettre bien avec lui ! Paris vaut bien une Messe, n’est-ce pas ?
Je passe rapidement, car je pourrais écrire un livre sur ces trois années passées au petit-séminaire de Sainte-Marie de Meaux. Mais le fait est que les jeunes séminaristes s’étaient regroupés autour de moi, du moins les plus grands, surtout pour les « Dimanches Apostoliques », une fois par mois, où ils ne retournaient pas en famille, mais restaient pour un jour et demi de retraite au séminaire. J’étais responsable aussi de la liturgie. Et les jeunes adoraient le chant grégorien, recherchaient les Bénédictions du Saint-Sacrement, les Adorations du Saint-Sacrement. Les plus grands ont même obtenu de faire une nuit d’adoration du Sacrement, en menaçant d’occuper la chapelle, car le Supérieur, le Père Lherbier, le leur avait débord refusé. Le dimanche soir, on chantait même les Complies en latin. Et, bien souvent, les séminaristes (les plus grands) venaient dans ma chambre pour réciter le Chapelet. Cela n’existait pas à Sainte-Marie ! Pour assister à la Messe « officielle » du matin, il fallait une permission spéciale, exceptionnelle, du surveillant de la classe d’étude.
Mais ces jeunes se « battaient » pour pouvoir me servir la Messe le matin, en privé, à l’autel situé au fond de la Chapelle, alors qu’il y avait, dans le même temps, la Messe « officielle », célébrée par le Directeur des Vocations le Père Duranton, réduit bien souvent à parler dans le désert. Ce qui ne manqua pas de créer des tensions, bien sûr !
Le 8 décembre 1967, fête patronale du séminaire Sainte Marie, nous avons même eu une Messe Pontificale célébrée par Mgr Ménager. Rien n’y manquait : les Diacres assistants, les porte-insignes, bref, une vingtaine de servants dans le chœur. Les jeunes étaient « aux Anges », d’autant plus que j’avais préparé la chorale qui avait chanté tout le Kyriale des Messes solennelles n° 2 « Kyrie Fons Bonitatis ». Les jeunes, séminaristes et non séminaristes de la chorale, chantaient de tout leur cœur. A la fin de la Messe, Monseigneur Ménager m’a remercié, en ajoutant (in cauda venenum) : « Mais le Kyrie était beaucoup trop long ». Je lui répondis : « Certes ! Mais il a été composé par des gens qui méditaient, pour des gens qui méditent ».
Et ainsi, la situation s’est tendue, régulièrement, et devint rapidement insoutenable. D’autant plus que les jeunes qui se destinaient au Sacerdoce me disaient, dans leur langage affectueux « L’abbé, vous devez nous trouver un BON séminaire, parce qu’on n’ira pas à LEUR Saint Sulpice ». Trouver un bon séminaire ! « Hic jacet lepus » ! C’était bien là la difficulté ! J’étais devenu un « trublion », au point que le Père Duranton me demanda un jour s’il pouvait venir me parler dans mon bureau-chambre. Bien sûr, avant son arrivée, j’ai installé un magnétophone sous mon lit ! Je résume l’entretien en quelques mots : « Avec votre soutane, et vos idées préconciliaires, vous êtes un scandale pour tout le Diocèse ». Mais déjà pour Sainte-Marie, et surtout pour lui qui avait perdu une grande partie de ses pénitents. Il était bien « en cour » avec Mgr Ménager, et je m’attendais à être changé « pour faire un peu de pastorale en paroisse » et « être remis au pas en contact avec la réalité ». Le Père Lherbier m’avait soutenu, il me soutenait, il était heureux de chanter les Complies en latin etc. Mais c’était un faible, surtout devant le Père Duranton.
Je dois reconnaître que ce dernier ne me portait pas du tout dans son cœur. Surtout après une intervention de ma part auprès de Mgr Ménager. En 1969, Le Père Duranton, Directeur des Vocations, avait organisé deux journées de rencontre pour les jeunes gens et les jeunes filles du Diocèse, un samedi et un dimanche. Il avait prévu notamment une Messe « à étapes » : le samedi soir, dîner en commun dans la nature, si le temps le permettait, au cours duquel se déroulerait la première partie de la Messe : La Liturgie de la Parole.
Après cela, repos dans les greniers des fermes des environs, couchés dans la paille, garçons et filles mélangés, pour aider aux rencontres interpersonnelles, favoriser les contacts et les échanges et aider ainsi les jeunes à préparer leur avenir.
Pour le dimanche matin, le petit déjeuner comprendrait la liturgie de l’Offertoire, avec la présentation du pain et du vin. Et, pendant le repas de midi, on procèderait à la Consécration et à la communion.
Mis au courant de ce projet, préparé dans tous les détails, j’intervins auprès de Mgr Ménager, réticent d’abord sur une intervention, mais qui dut céder devant ma menace de déposer une plainte à Rome. La réunion des jeunes du Diocèse aurait lieu, comme prévu, mais la Messe serait célébrée, normalement, dans l’église du village qui nous accueillait. La Messe ? Les jeunes, assis, couchés sur le sol de l’église, discutant, riant, en tenue négligée après une nuit passée dans la paille, et dans quelles conditions (?) chantaient à tue-tête des chants hippies, accompagnés à la guitare, et qui n’avaient, pour la plupart, aucun rapport avec la Messe célébrée. Je m’étais réfugié, par prudence, au fond de l’église, et les séminaristes s’étaient joints à moi les uns après les autres.
Vint le moment de l’échange de la paix, qui se donna sous toutes les formes possibles et imaginables ; aussi, lorsque des jeunes, envoyés tout exprès par l’organisateur pour « nous donner la paix », j’ai répondu avec un grand sourire « Foutez-nous la paix ! ». A la sortie de l’église, au moment de quitter l’assemblée, un groupe de jeunes, guidé par l’Abbé Duranton, s’en prit à nous, à moi, en criant : « hérétiques, intégristes ».
Mon avenir était tracé !
A la fin du mois de juillet, Monseigneur Ménager m’annonça, non pas oralement, mais par lettre, que je reçus alors que j’étais en vacances avec ma famille, que j’étais nommé Vicaire à Nemours. A la mi-juin je lui avais parlé de bruits concernant mon changement ! Il m’avait répondu avec fermeté : « Il n’en est pas question ».
Parole d’Evêque.
Mgr Jacques Masson