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25 septembre 1609/Angélique Arnauld, « la journée du guichet »

Publié le 25 septembre 2009 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


     Le 25 septembre 1609, Angélique Arnauld, abbesse du monastère de Port-Royal-des-Champs, alors âgée de dix-huit ans, poussée par son désir de « rétablir la clôture, selon la demande expresse de la règle de saint Benoît », décide de refuser à sa famille le droit de pénétrer à l'intérieur du monastère. C’est au travers d’un petit volet ― guichet ― ouvert dans la porte qu’elle accueille son père, Antoine Arnauld.
     Appelée depuis « Journée du guichet », cette journée est l'aboutissement de la réforme exigée par le Concile de Trente. Grâce à la détermination qu'elle ose montrer dans son projet de réformer la vie du monastère de Port-Royal, Angélique Arnauld s'impose comme une figure majeure du jansénisme.


     « Le 25 septembre 1609, le Parlement étant en congé, Angélique flaire le danger. Ses parents vont arriver. Une guerre de plus aura lieu. Dès les premières heures, toutes les clefs ont été confisquées. Angélique attend. Le soir, vers dix heures, le bruit de carrosse transportant Antoine et Catherine Arnauld, Robert Arnauld d'Andilly alors âgé de vingt ans, la jeune Anne-Eugénie et Catherine Le Maître se fait entendre dans l'allée menant au cloître. Les religieuses rentrent se cacher. Seule Angélique demeure immobile dans la prière.
     D'un saut, Antoine s'approche du porche et frappe à la porte. Angélique quitte alors l'église pour lui ouvrir la petite fenêtre du guichet et lui demande d'entrer au parloir, situé juste à côté. Abasourdi, Antoine Arnauld « menace, insiste, presse, commande, se fâche et frappe de plus en plus. »* Certaines religieuses s'inquiètent. Sont-elles dans le droit chemin ? Catherine Arnauld jure de ne jamais revoir sa fille, Robert traite sa sœur de monstre d'ingratitude et de parricide. « Quelle honte de ne pas ouvrir à Monsieur Arnauld ! » renchérit la sœur Morel. Blême, Angélique se tourne vers sa communauté: « Ils ne m'ont point demandé ma volonté pour me faire religieuse; je ne leur demanderai point la leur pour vivre en religieuse. »
     Apparemment calmé, Antoine Arnauld demande à voir ses deux autres filles, Marie-Claire et Agnès. Il songe, en fait, à s'introduire dans le monastère une fois la porte ouverte. Angélique devine le stratagème et fait sortir les enfants par une autre porte donnant dans l'église. Interrogée par Antoine, Agnès répète sans relâche qu'Angélique ne fait qu'appliquer les décisions du Concile de Trente. Robert devient fou furieux. « Oh ! Pour le coup, s'exclame-t-il, nous en tenons vraiment. En voilà une encore qui se mêle de nous alléguer les conciles et les canons ! »
     Rompu à la malice de sa fille, Arnauld accepte de pénétrer au parloir. De cette voix douce et grave dont il sait si bien user, il parle à son enfant du passé, des heures heureuses passées rue de la Verrerie ou sur les terres d'Andilly. Il lui dit enfin que, l'aimant si fort, il consent à ne plus l'approcher, lui demandant seulement de ne pas ruiner sa santé en abus d'austérités. Devant ce visage décomposé, Angélique s'effondre. « J'eus une telle douleur que je pensai étouffer »**, confia-t-elle.
     Devant sa fille évanouie, Antoine appelle au secours. Les religieuses hésitent. Pas question d'intervenir dans des affaires de famille. À la fin, pourtant, elles se rendent à l'évidence, il ne s'agit plus d'un affrontement, mais d'un réel appel à l'aide. Les moniales accourent, ranimant leur supérieure pour la porter un instant dans sa cellule. Au parloir, on prépare deux couches. L'une pour l'abbesse et l'autre pour son père, auquel, dans un souffle, Angélique a demandé « qu'il veuille bien, pour toute grâce, ne s'en aller pas ce jour-là. »***
     Les parents se rendent au double souhait de leur fille. Ils l'assisteront toute la nuit et ne reparaîtront plus à Port-Royal. Mais on obtiendra vite quelques accommodements. Antoine Arnauld recevra la permission de l'abbé de Cîteaux d'entrer pour inspecter les travaux lorsqu'il y en aura. Et il va y en avoir. Catherine Arnauld campera, elle, sur ses positions pendant près d'un an. Jusqu'au 4 août 1610, où, au couvent des jacobins, elle entend un prédicateur prêcher la nullité d'un serment prononcé dans un moment de colère. Ivre de joie, la mère se précipite à Port-Royal pour retrouver sa fille. La réconciliation générale n'empêche pas Antoine et Robert de prendre à partie le père Kersaillou, responsable, à leurs yeux, de cette réforme aberrante.
     Ébranlée, épuisée, Angélique sait qu'elle a gagné un combat vital pour elle et nécessaire pour l'Église. Une abbesse de dix-sept ans et demi a bravé l'autorité paternelle au nom de la règle de saint Benoît, au nom de la réforme exigée par le concile de Trente et réclamée en toutes lettres dans la carte de visite du supérieur de l'ordre, Nicolas Boucherat, en 1572.
     À ce stade, elle peut devenir un modèle pour beaucoup d'autres supérieures. Si elle avait échoué lors de cette « journée du guichet », c'en était fait du renouveau catholique dans l'enceinte de Port-Royal. »

Fabian Gastellier, Angélique Arnauld, Librairie Arthème Fayard, 1998, pp. 79-80-81.


* Sainte-Beuve, Port-Royal
** Angélique Arnauld, Relation écrite par la mère Marie-Angélique Arnauld de ce qui et arrivé de plus considérable dans Port-Royal, Port-Royal-des-Champs, à la date du 12 janvier 1655. Édition de Jean Lesaulnier, Chroniques de Port-Royal, 1992.
*** Mémoires pour servir à l'histoire de Port-Royal, Utrecht, aux dépens de la Compagnie, 1742.


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