LE DÉMON, Siamois, IX-09

Publié le 26 septembre 2009 par Caroline Rochet
SIAMOIS (le magazine du Chacha)        Le Démon

Septembre 2009

 
Je vous le dis sans ambages et vous pouvez me croire : je ne sortirai pas ce soir. Je le jure. C'est dit. Mon corps crie "Non".
Grâce à mes 57 heures de sommeil en retard, j'ai la fougue effrénée d'un ficus mort. Demain à l’aube (vers 11h), m’attend une réunion plus cruciale qu'un sommet du G8, et, grâce à la soirée d'hier, ma gueule de bois concurrence un paquet de masques Dogon. Bref : ma carcasse supplie, mon lit appelle. Je serai sage. Je rentre chez moi. Je soupire d'aise. La douche est bonne, le soleil se couche et je vais faire de même. Je m'aime. 
Et c'est là qu'Il arrive. Qu'Il me nargue, qu'Il ricane, qu'Il m’attrape et séduit chacune de mes cellules. Qu'Il use de toutes ses ruses pour me convertir. Irrésistible, impitoyable, insupportable. En un mot, Diabolique.
Entre moi et moi, je l'appelle le Démon. Caché dans votre plexus, vous L'abritez aussi. On a tous un Démon. Et Sa voix chante plus fort que toutes nos bonnes résolutions. Le Démon, c'est ce coup de fil d'une amie qui vous propose un verre, juste un verre. Ou ce texto d'un beau garçon (brun, barbu, le poil dru) qui supplie votre corps divin de le rejoindre à un concert. C'est aussi cet event sur Facebook, alléchant au possible, brossant le tableau d'une tentante soirée avec tel Dj ineffable, tel lieu improbable, tels guests inratables. En plus, ce sont des potes à vous qui organisent, ce serait sympa de passer. Le Démon, c'est encore ce vil petit cafard automnal, ce méchant blues qui vous attrape par les reins quand le crépuscule s'installe. Et cette envie soudaine de vous saper, de vous bouger, de parler de tout à n’importe qui, d’onduler du fessier sur un son magnétique, d'avaler sans vergogne quelques substances licites, de fumer à vous en exploser la plèvre et de vous fondre sans réfléchir (oh, surtout ne pas réfléchir) dans une masse délicieusement douce, bruyante, tiède et mouvante. C'est encore Lui. Cet infect ange déchu. C'est toujours Lui. Vous savez de Qui je parle. Vous Le connaissez si bien. Le Démon s'habille de lumière noire, embaume un cocktail de parfums coûteux mêlés de sueur délicate, et danse au rythme d'un rock trash bootlegué à une chanson rétro. Thomas Mann disait que la musique est le domaine des démons. Il n'a pas dit que des conneries, Mr Mann. Le Démon appelle. Vous cédez. Vous cédez toujours. Moi, en tous cas, je Lui cède toujours. J'ai dû signer un pacte avec mon sang dans une vie antérieure. Me voici princesse des ténèbres pour l'éternité. Ensorcelée par les riffs, fiancée à mon verre et vampirisée par les arcanes de l'obscurité parisienne.
Le Démon, c'est le diable de l’envie, de la Nuit. Mick J. vous dirait qu'il faut, envers lui, avoir de la courtoisie, de la sympathie, et du taste. Celui du Paradis, sûrement. Peut-être. 
Qu'y puis-je si un proverbe arabe dit avec justesse qu'il faut chasser le diable par le diable.
Je pars en chasse.
Je vous retrouve là-bas.