Sylduria chapitre IX

Publié le 28 septembre 2009 par Lilianof

Chapitre IX
Elvire

Dès le lendemain matin, Lynda, munie de la lettre royale, se précipita chez le trésorier. Celui-ci fronça les sourcils à la vue de la somme considérable, mais après tout, la signature et le cachet du roi étaient bien présents. C’est son affaire.

L’argent lui fut remis en liquide qu’elle échangea prudemment contre des chèques de voyages.

Elle s’encombra de peu de bagages : quelques effets et provisions dans un sac, sa guitare sur le dos, son argent dans sa poche, son casque sur la tête. Pour le reste, elle achèterait sur place, au fil des besoins. Bien entendu, elle ne négligea pas de rayer sur son calepin le nom de Dimitri, qui échappa à la noyade, comme les autres.

Elle partit sans dire au revoir à personne. Chevauchant sa motocyclette, elle quitta le palais, puis la ville à grand bruit, bien décidée à ne plus jamais revenir.

Elle voyagea loin sans ménager sa monture : une première étape à Belgrade, une seconde à Munich, enfin, elle arriva le troisième soir exténuée à Paris. Notre héroïne, si j’ose dire, passa la nuit à l’Hôtel Formule 1 de la porte de Montreuil et se leva tard.

Équipée d’un plan de Paris et d’un guide Michelin, Lynda trouva sans difficulté le prestigieux Hôtel dont elle rêvait. Quand le réceptionniste la vit garer son engin à deux roues tout près de l’entrée et pénétrer dans l’établissement, toujours enveloppée de fer et de cuir, et le visage caché par son casque. Il plaça discrètement le doigt sur le bouton rouge. Puis, la voyant s’approcher vers lui, il constata avec soulagement qu’elle n’était pas armée et, retrouvant sa tranquillité, il lui expliqua poliment qu’elle s’était vraisemblablement trompée d’adresse et que les tarifs pratiqués ici devaient être au-dessus de ses capacités.

« Ça dépend, répondit-elle avec aplomb, quels sont-ils, vos tarifs ?

– À partir de 780 euros la nuit, pour les chambres les plus modestes.

– En effet ! Une chambre à ce prix-là, c’est pour un public modeste.

– Petit déjeuner compris.

– Mais, supposons que je souhaite quelque chose d’un peu plus confortable.

– Nous avons de quoi vous satisfaire pour 970 euros.

– C’est déjà mieux, mais j’aimerais avoir une suite vraiment luxueuse, cela conviendrait mieux à une personne de mon rang. »

L’employé regarda la jeune fille, de plus en plus étonné.

« Si vous recherchez le meilleur, je vous conseille sans hésiter notre suite impériale. 127 m², deux chambres avec lits royaux, salle de bain toute en marbre, vue imprenable sur la tour Eifel, les invalides et l’opéra Garnier. Son prix aussi est impérial, mais je suppose que ce n’est pas cela qui vous effraie.

– Non, ça ne m’effraie pas.

– Alors allons la visiter, s’il vous plaît, mais je vous préviens, on paye d’avance, carte bleue ou liquide.

– On dirait que je ne vous inspire pas confiance, mon ami, répondit-elle, indignée. Ne vous fiez pas à mon allure vestimentaire. Si vous saviez qui je suis, vous me baiseriez les mains sans tarder. »

« Décidément, cette fille est à moitié givrée, » se dit l’homme en la conduisant vers l’ascenseur.

Lynda passa une nuit merveilleuse dans son grand lit à rideaux. Même dans son palais d’Arklow, elle n’avait pas une suite aussi luxueuse pour elle toute seule. Étalée paresseusement dans ses draps parfumés, elle ne pensait qu’à son bonheur.

« Enfin libre ! Me voilà riche ! Enfin je suis une vraie princesse et je vais vivre comme une reine, sans devoir de comptes à personne. Vivre enfin, sans mon bigot de père, sans mon hypocrite de sœur, et sans ce pédant de Wladimir ! Voilà Paris, la plus belle ville du monde est à mes pieds, il ne me reste plus qu’à la conquérir. »

Le lendemain, elle alla se promener sur les Champs-Élysées tout proches, s’arrêtant à toutes les boutiques pour y faire provisions de robes, ceintures, chaussures et chapeaux. Elle dépensa aussi des sommes vertigineuses chez les bijoutiers, afin de passer plus facilement inaperçue dans sa nouvelle résidence.

Finalement, elle acheta aussi une Porsche qu’elle paya comptant et en liquide, sous l’œil ébloui du vendeur. Elle conserva néanmoins sa Harley qui faisait partie, comme le reste, de son arsenal de séduction.

Elle ne s’ennuyait guère, sortant la nuit, dormant le jour. Elle fréquentait les plus grands restaurants et les cercles les plus fermés.

Une seule chose lui manquait pourtant : elle aurait aimé trouver une amie parisienne avec qui partager ces moments de plaisir.

Cette lacune fut bientôt comblée :

Il lui arrivait, par fantaisie de délaisser le Paris mondain pour visiter, discrètement, les bistrots et petits bals des quartiers plus sensibles. Une occasion pour elle de rencontrer de la populace et de la toiser du haut de son mépris. Justement, ce samedi soir, il lui a pris l’idée d’aller guincher dans une cité ô combien sensible de la banlieue Nord-Est.

Elle avait déjà épongé plusieurs bières quand elle vit, à l’autre bout du comptoir, deux gars quelque peu éméchés, importunant une jeune fille qui n’avait visiblement pas désiré leur compagnie.

« À la bonne heure ! se dit elle en serrant ses poings dans ses poches, je vais enfin m’amuser ! »

Elle s’approcha du groupe, menaça les garçons de la voix et du regard, mais ceux-ci lui lâchèrent un « Wo kesta toa kônass ».

« Je vous aurai prévenus, » leur dit-elle.

Aussitôt, elle les arrosa d’une pluie de coups qui les fit rouler à terre. Brusquement réveillées, les bandes rivales d’Aulnay-sous-Bois se jetèrent l’une contre l’autre dans un fracas de violence. Lynda avait réussi à provoquer une bagarre générale. Elle serait bien restée pour cogner encore un peu, mais elle jugea plus prudent de prendre la jeune fille par le bras et la mener dehors.

Elle la fit asseoir sur sa motocyclette et la conduisit dans un endroit un peu plus calme où elle lui offrit une boisson bien frappée, pour rompre la glace.

Lynda fit ainsi la connaissance de sa nouvelle amie. Elle appris qu’elle s’appelait Elvire Saccuti, et qu’elle était caissière au « Mutant », à Drancy.

Comme il était tard, Lynda invita Elvire à passer chez elle boire une coupe de champagne.

Lynda avait largement dépassé les 0,5 gramme d’alcool par litre de sang, ce qui ne l’empêcha pas de piloter sa moto comme une voiture de formule un, se faufilant dans la circulation, faisant même un peu de ouillingue pour épater sa protégée qui s’accrochait à son blouson avec angoisse et fut ravie d’arriver vivante à destination.

« C’est ici que tu habites ?

– Oui, cela t’étonne ? »

Après ces aventures dignes des « Mystères de Paris », les deux filles partagèrent ensemble un très bon champagne, puis allèrent se coucher. Pour la première fois de sa vie, Elvire dormait dans un lit impérial, et y rêva qu’elle était devenue impératrice.

Le lendemain, après le petit-déjeuner, impérial lui aussi, elles décidèrent de se séparer.

« Je te reconduis chez toi.

– Sur ta moto ? J’ai trop peur. Je préfère prendre le métro.

– Le métro ? C’est pour le peuple. Je te laisse les clés de la Porsche. Tu me la rendras ce soir. Je t’invite au Fouquet’s. »

Elvire s’éloigna en vrombissant. Lynda se sentait brusquement envahie d’inquiétude : Quelle idée de prêter à une inconnue une voiture de 300 000 euros ! Et si elle ne revenait pas ? Bon ! finalement, ce n’est pas si grave. L’assurance la lui rembourserait et elle en achèterait une autre.

Elvire ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Elle qui allait travailler à cyclomoteur, tenait dans ses mains le volant d’un bolide que son patron lui-même n’avait pas les moyens de s’offrir. Elle n’osait imaginer la figure de ses amis du « neuf-trois », la voyant dompter cette superbe décapotable. Elle pensait que parmi ses amis, il s’en trouvait un, justement, qui pouvait, dans son petit garage, la maquiller un peu pour la faire disparaître à l’étranger à grand bénéfice.

Finalement, il devait y avoir un meilleur parti à tirer de la situation. D’abord elle n’osait pas même imaginer la poêlée de châtaignes que servirait la propriétaire, si elle retrouvait sa voleuse. D’autre part, elle n’avait pas prévu qu’une fille menant un train de vie de milliardaire la prendrait sous son aile. Elle comprit qu’elle pouvait en tirer profit à plus long terme.

Elle passa donc tout son dimanche à vadrouiller dans la cité, écoutant du rap à plein volume, klaxonnant aux fenêtres de ses amis, invitant les plus appréciés à monter près d’elle.

Le soir venu, elle retourna à l’Hôtel Georges V, jeta les clés dans la main du larbin en se donnant des airs de laidie, puis monta dans la suite impériale. Lynda l’attendait.

« Tu ne vas pas te pointer au Fouquet’s attifée de la sorte ! Ils ne vont pas te laisser entrer. Attends un peu, je t’emmène chez Lagerfeld. Rassure-toi, c’est moi qui paie ».

Au Fouquet’s, Elvire qui ne connaissait que Mac Donald et Pizza Hut s’est comportée comme un tricératops dans un magasin de porcelaine. Lynda considérait ses bévues avec indulgence. Pourvu qu’elles aient passé un bon moment ensemble.

De retour à l’hôtel, elles échangèrent leurs impressions. Elvire était enchantée.

« Tu as mangé dans le restaurant préféré du président, la prochaine fois, je t’invite à la Tour d’Argent. C’était dit-on le préféré d’Henri IV.

– Y sert-on la poule au pot ?

– Sans doute.

– C’est tout de même extraordinaire. Tu es une étrangère, tu débarques de Slovénie...

– Syldurie.

– Oui, pardon. Tu débarques de Syldurie et c’est toi qui me dévoiles ce que Paris a de plus merveilleux. Grands restaurants, grands hôtels, grands couturiers, grands magasins. Tout ce luxe ! Et dire que j’ignorais tout cela ! Avant de te connaître, je n’étais qu’une petite parisienne ordinaire.

– Et maintenant tu fais partie du Paris mondain.

– Tu as totalement transformé ma vie. Tu es ma meilleure amie. Je t’aime de tout mon cœur.

– Moi aussi, Elvire, je t’aime très fort. »

Elles parlèrent des heures durant de cette merveilleuse soirée. Puis elles conclurent avec un dernier champagne.

«  Celui-ci vient directement de chez Faujeton.

– Faux-jeton ? Ah oui ! Tu veux dire Fauchon. J’en vends du moins cher au Mutant.

– Je préfère ne pas te dire le prix. Tu en mourrais de jalousie.

– Tu ne regardes pas à la dépense par satisfaire ta meilleure amie.

– Tu le mérites bien. »

Lynda prit machinalement le courrier de samedi. Il se trouvait une enveloppe qu’elle avait oublié d’ouvrir.

« Une lettre d’amour, évidemment, dit Elvire avec malice.

– Non, une facture.

– Ma pauvre chérie !

– Ne te fais pas de souci pour moi. J’adore recevoir des factures, et plus encore les payer. Celle-ci est de « Fauchon », justement. »…

« Génial ! Écoute-moi ça ! Accroche ta ceinture et cramponne-toi au fauteuil :

« Caviar iranien Rajfanjani, une boîte de 350 grammes : 8350 euros, toutes taxes comprises. » Tu t’imagines ? « Port et emballage : 3,90 euros. »

– On dirait que ça te fait plaisir.

– Mais ça me fait bondir de joie. Plus de 8000 euros. Imagine un peu le prix au kilo.

– Moi ça me ferait peur.

– Mais du caviar à 8000 euros ! Sais-tu avec quoi on réveillonne à la cour de Syldurie, depuis que papa a pondu ses réformes budgétaires ? – Avec des oeufs de lumps. Et moi, princesse syldure déchue et déshéritée, je fais la fête avec du caviar à 8000 euros.

– Et comment vas-tu la payer, cette facture ? Ta banque t’accorde un crédit ?

– Ridicule ! Passe-moi mon sac. »

Elle remplit un chèque.

« Et voilà ! J’ai fait mes provisions et mon chèque n’est pas sans provisions.

– 8000 euros ! 350 grammes !

– Sais-tu qui d’autre que moi, à Paris, s’offre du caviar à ce prix-là ?

– Sûrement pas moi.

– Moi je vais te le dire : le Président de la République.

– Nous sommes loin des oeufs brouillés de Giscard d’Estaing.

– Je suis devenue quelqu’un de très important. Comme disent les Américains : une vieille pie. »

Elvire préférait de loin sa vie parisienne à sa vie de banlieue, elle oubliait souvent l’heure du réveil. En raison de son absentéisme et de ses retards répétés, elle se fit bientôt virer du Mutant. Belle occasion pour elle d’occuper à titre permanent la deuxième chambre de la suite impériale.

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