C’était il y a quarante ans. Je me souviens de Gabrielle Russier. Cette femme, professeur de lettres à Marseille avait formé autour d’elle un petit groupe d’élèves qui se retrouvaient pour des discussions infinies, dans la lignée de la fièvre “soixante-huitarde”. Parmi ces élèves, Christian, 16 ans. Et l’impossible, l’interdit, survient. L’agrégée, divorcée, mère de deux enfants tombe amoureuse du jeune homme. Malgré les obstacles, les amants persistent, jusqu’à ce que les parents portent plainte pour détournement de mineur. Gabrielle est finalement incarcérée aux Baumettes, avant d’être condamnée à douze mois de prison avec sursis. Le procureur de la République refuse à Gabrielle le bénéfice de la loi d’amnistie et demande qu’elle soit commuée en 13 mois non amnistiables. Désespérée, la jeune femme se suicide le 1er septembre 1969. Cette tragédie a beaucoup fait couler d’encre à l’époque. En 1970, André Cayatte tire un film de cette histoire, “Mourir d’aimer”, avec Annie Girardot. Charles Aznavour en écrit la chanson que nous fredonnons toujours.
J’avais 18 ans en 1968. Je me souviens des discussions que nous entretenions durant ces années avec nos professeurs. C’est sans doute sans doute pour ces raisons que l’affaire Russier garde une place particulière dans ma mémoire. Mais j’ai aussi en mémoire la première conférence de presse de Georges Pompidou, élu en juin 69. En septembre, à la fin de cet exercice, le brillant agrégé de lettres, fin connaisseur de la poésie, est interrogé par Jean-Michel Royer sur ce triste fait divers. Il répond après un long silence : “Je ne vous dirai pas tout ce que j’ai pensé sur cette affaire. Ni même d’ailleurs ce que j’ai fait. Quant à ce que j’ai ressenti, comme beaucoup, eh bien,
Comprenne qui voudra !
Moi, mon remords, ce fut
la victime raisonnable
au regard d’enfant perdue,
celle qui ressemble aux morts
qui sont morts pour être aimés.
C’est de l’Éluard. Mesdames et Messieurs, je vous remercie”.
Précisons qu’Eluard avait écrit ces lignes à propos des femmes tondues de l’épuration.
J’aimerais tant que cette époque revienne, où un président de la République répondait à une question d’actualité par quelques vers magnifiques et de longs silences…