En dépit de tous mes espoirs, nulle justice divine ne vint mettre fin à mon tourment au cours de la journée. Dès que la lumière eut suffisamment décliné pour me permettre de sortir, je filai droit devant moi jusqu'à trouver enfin signe de vie. Des éclats de voix me parvenaient d'une ferme, mais le voile qui s'était abattu sur mon esprit me rendaient étrangers les mots qui atteignaient mes oreilles. Rapide comme un vampire, je poursuivis mon chemin, fis halte dans un village endormi afin de me nourrir, et me remis en route vers ma destination inconnue. A l'aurore, je m'abritai en forêt, et le crépuscule revenu, je repartis.
Nuit après nuit, je marchai ainsi au gré de mes pas, tentative absurde de fuir des remords qui s'accrochaient à moi comme une ombre. Toute pensée consciente m'abandonna bientôt au profit d'une morne routine: avancer, ne m'arrêter que pour m'alimenter, me protéger du soleil au matin, et recommencer le lendemain. Les saisons succédèrent aux saisons, les années aux années, les décennies aux décennies. J'avalais les lieues, sillonnant l'Europe mais, pour autant que je sache, ne la quittant pas. Sous mes yeux aveugles, la société se métamorphosait dans les prémices de la Renaissance, tandis que moi, abruti de chagrin et de culpabilité, j'errais tel un fantôme, dépourvu de but, sans plus d'intelligence qu'un animal.
J'aimerais insister sur un point. Jamais, même en ces heures les plus noires de toute mon existence, je n'oubliai mon vœu d'épargner les innocents. L'honnêteté m'oblige toutefois à reconnaître que je considérais les mendiants comme des victimes acceptables. A ma décharge, l'époque voulait que les simples voleurs, auxquels ils étaient généralement assimilés, fussent pendus, et je ne m'étais pas encore détaché des mœurs de mon temps. Mais si ma raison m'avait quitté, ma morale, elle, subsista toujours.
Sans le hasard qui m'en détourna, j'eusse pu poursuivre cette existence jusqu'à la mort.