Des fleuves de boues

Publié le 03 octobre 2009 par Lephauste

Tout d'abord, un mince filet d'eau force le passage entre des rochers qu'aucun esprit ne saurait soulever pour lui. Le lit des origines est une pierre plate enchassée de roches où le quartz se fait jour à mesure que le calcaire s'use à lècher l'eau. Un mince filet d'eau, puis dans les lichens, la plainte des ruisseaux perdant leurs cours et bruissant sous la férule des pentes grasses, disparaissent sous les herbes tissées de gargouillements, dont le sens échappe à qui traverse les pâtures de sa propre vie en ignorant les bienfaits de l'arrêt brutal imposé par l'eau précipitée, puis reviennent, abreuvent les simples, dévalent comme si la fin du monde était à leurs trousses, l'éclat sous le soleil fait un miroir brisé pour celui qui se lasse de n'avoir à contempler que son propre fleuve de boue. Aller ! Traverse!

Le pied s'enfonce dans la première vase, la cheville disparaît, là jusqu'au genoux, la hanche se voile du limon, bras levés bien haut, agités, à l'aide ! Silence alentours, des arbres déracinés passent roulent, évitent l'écueil des épaules dissoutes, à la gorge à présent, un dernier souffle lancé vers le ciel duveteux d'anges que le temps et les intempéries ignorent, et qui eux même ignorent la peur de celui qui n'avance plus, dont la tonsure accroche encore un peu quelques feuilles mortes, quelques plumes d'oiseaux en hâte vers la mer, quelques souvenirs de ce qui ne sera pas.

Mais au fond du lit des fleuves de boues est la plaine, l'imminente plaine ravinée d'ornières, au creux de l'une d'elle, pour chacun, il y a cette eau claire où la racine du pied plonge, où la cheville se libère de l'entrave, d'où le genou plie et craque. Par elle la hanche se délivre de la gangue émouvante des boues matricielles. Et sous le ciel, pour chacun, un ange attend le premier souffle du premier baiser. Ni temps ni intempéries, ni pourritures qui ne soient ensemble nos fleuves de boues parturientes.

(Pour P.G.)