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La leçon (gballand)

Publié le 04 octobre 2009 par Mbbs

Pagenasle_onÊtre propre et se tenir droit*, tout est là, ce n'est quand même pas difficile ! C'est ce qu'il se répétait encore à 50 ans passés, où qu'il fût et avec qui il fût. Il n'avait jamais  oublié les leçons de son enfance.

Ce jour-là, celui de l'enterrement de sa mère, il était très propre dans son costume sombre et il se tenait bien droit sur le banc de l'église. Il ne manifestait aucune douleur apparente. Il faut dire que cette mort il s'y attendait, et elle aussi : 90 ans, n'est-ce pas un bel âge pour mourir ? Peut-être avait-elle même un peu trop tardé à son gré, mais il n'osait  se l'avouer. A la fin de sa vie elle radotait et somnolait beaucoup ;  il avait dû espacer ses visites à la maison de retraite. Il ne passait  plus qu'une fois par jour et non deux comme au début.

A la sortie de l'église, il eut la surprise de la voir, elle, celle qu'il avait  aimé du temps de ses  20 ans. Elle vint lui présenter ses condoléances derrière Madame Brard, l'ancienne voisine de sa mère. Il eut  l'impression qu'elle  abandonnait sa main dans la sienne pour qu'il la lui pressât, ce qu'il fit, avec chaleur. Il en eut presque honte. Se comportait-on ainsi le jour de l'enterrement de sa mère ?

Il supporta les condoléances avec un stoïcisme bienveillant mais se rendit compte qu'il la guettait du coin de l'œil. Être propre et se tenir droit, se répétait-il pour éloigner de lui un désir qu'il sentait monter de loin... Pouvait-on désirer une femme le jour de l'enterrement de sa mère ? Il recomposa son visage et ne pensa plus qu'à sa mère, une femme de tête, une femme de cœur, une femme comme il n'en existait plus aujourd'hui. Elle lui avait sacrifié sa vie, et lui aussi. Être propre et se tenir droit, oui il avait toujours été honnête envers sa mère et  s'était  interdit des sentiments qu'elle aurait réprouvés. Seulement maintenant, elle était morte.

Il  regarda à nouveau, furtivement, l'amour de ses 20 ans. Elle se tenait en retrait, derrière le petit mausolée de marbre rose que sa mère avait souhaité comme dernière demeure. Elle lui semblait  aussi belle, juste un peu plus ronde qu'alors mais ses rondeurs lui seyaient. Il se serait volontiers laisser envelopper dans la chaleur de sa chair. Quand il l'avait présentée à sa mère, trente ans plus tôt, celle-ci lui avait dit d'une voix qui n'admettait aucune réplique :
- Tu as vu comme elle se tient mal ?  Négligée à 20 ans, repoussante à 50 ! Être propre et se tenir droit, n'oublie jamais ça !

Ils ne s'étaient plus jamais revus.

* extrait de l’enfant, de Jules Vallès. Le texte est illustré par une photo de Patrick Cassagnes.


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