La vie municipale pouvait alors se comparer à une course d’obstacles où les concurrents étaient en fait les autres villes dirigées aussi par des socialistes. A cette époque, la ville de Grenoble dirigée par Dubedout était considérée comme celle qui donnait le "la" en matière d’innovation.
Ecologique avant l’heure, tournée vers le futur grâce à ses industries en électroniques, ayant la première mis en place des structures participatives au niveau des quartiers afin de rapprocher le pouvoir local des administrées, la ville de Grenoble nous semblait être le modèle à suivre et à dépasser.
Ainsi devaient naître les mairies de quartier, une coulée verte permettant quasiment de traverser la ville dans un cadre végétal accueillant, une médiathèque où tous les supports culturels seraient disponibles y compris des multiples d’œuvres à accrocher chez soi pendant un temps afin de se familiariser avec la peinture ou la sculpture.
De la même manière, le traditionnel Opéra de Nantes, lieu de rencontre privilégié de l’aristocratie nantaise se voyait confié une mission consistant à en renouveler le public. Ainsi naquirent "les mercredi de l‘Opéra" où le public était invité à venir écouter de grandes voix sur la base d’une découverte "une voix, un instrument".
Conçue comme une opération commando, afin d’attirer l’attention de la jeunesse scolaire et étudiante locale, l’affiche annonçant ces "mercredi" fut confiée à une nantaise renommée : Claire Brétécher qui, à l’époque défrayait la chronique hebdomadaire avec les aventures de ses "Frustrés". Les résultats en furent prometteurs et l’on vit bientôt les fauteuils du Théâtre Graslin occupés par une jeunesse en jean venue goûter aux charmes d’un lyrique dépoussiéré ne concédant rien à la facilité.
Dîner à La Cigale, après le spectacle, en tête à tête avec Barbara Hendriks, restera pour moi un souvenir inoubliable tant cette femme d’exception était rayonnante.
Mais c’est surtout sur le rayonnement économique que nous étions attendus par la population et, de longues années plus tard, deux dossiers me poursuivent encore.
Nous avions été approchés par un groupe britannique installé dans l’île de Man (bien connue comme paradis fiscal) qui souhaitait nous entretenir d’un projet d’investissement original et de leur recherche pour une implantation sur le continent.
La correspondance d’Heathrow était un vieil avion à hélices du genre de ceux que l’on conserve surtout dans les musées de l’air. Typiquement british cette faculté de maintenir en vie ces vieilleries, comme si leur survie permettait de croire encore à celle de l’Empire !
Malheureusement, comme il arrive souvent en cette contrée, un brouillard persistant obligea notre aéronef antédiluvien à tourner longuement au dessus de Douglas la capitale de l’île. Dans l’avion les paris allaient bon train. Allions nous atterrir ou pas ? De toute évidence l’appareil n’était pas équipé d’un système de guidage automatique… Certains affirmaient que le pilote ayant une petite amie dans l’île ferait l’impossible pour s’y poser, d’autres étaient sceptiques.
Quand soudain, nous fut annoncé dans un crachotement caractéristique que «I’d trie to have a touch» et l’avion fondit dans la masse cotonneuse puis rebondit trois fois, oui trois fois, sur ce qui pouvait être une piste, dans un tonnerre d’applaudissements des passagers qui, pour nous convaincre de leur totale confiance, nous avouèrent que «ce guy avait été pilote dans la RAF» ! Sueurs froides !
La société avec laquelle nous avions rendez-vous s’appelait «Thermo-SkyShip» et projetait de créer une usine de construction de ballons dirigeables composés de plusieurs centaines de petits ballons gonflés à l’hélium et réunis dans une seule et même enveloppe lui donnant un air de soucoupe volante.
Leur étude de marché visait deux cibles, celle du transport d’objets encombrant et lourds et celle du transport de voyageurs de centre ville à centre ville (Paris- Londres par exemple), le tout à une vitesse commerciale de l’ordre de 200 à 250 kilomètres -heure.
La multiplication des ballons d’hélium au sein d’une même enveloppe limitait le risque d’accidents et les charges susceptibles d’être transportées pouvaient atteindre les 100 tonnes et ne respecter aucune contrainte de taille.
Nantes et Saint Nazaire participaient déjà à la co-production aéronautique qui fut accélérée avec le programme Airbus et nous pensions que ce niveau moyen de transport faciliterait les échanges et en réduirait durablement les coûts. L’avenir nous donna raison avec l’arrivée du A 380 et sa construction en mécano industriel.
Malheureusement ce projet ne put aboutir, faute d’avoir su convaincre les banquiers sollicités et les autorités nationales qui voyaient d’un mauvais œil l’installation en France d’une société britannique capable de freiner la construction aéronautique nationale.
Le second projet qui se solda par un échec est celui dont j’ai déjà parlé (dans Nantes 7 voyage d’affaires) et concerne le projet d’implantation en Europe d’une unité de production automobile par General Motors.
Après notre visite à Detroit, de retour en France, nous avions pu constater qu’effectivement la rumeur, amplifiée par la presse, d’une installation d’une usine Ford en Lorraine, avait fait long feu.
Le gouvernement de Raymond Barre qui s’en était déclaré favorable, n’en parlait plus depuis qu’il avait annoncé un énième plan de sauvetage en faveur de la Lorraine.
De notre côté, nous avions recensés les sites en Basse Loire, raccordés au chemin de fer, proches de la Loire et susceptibles d’accueillir cette usine de montage automobile. Forts de cette étude et de ce qui nous avait été dit par un des grands patrons de GM, nous sollicitions un rendez vous avec la Ministre de l’Industrie de l’époque, le sieur André Giraud qui se pavanait rue de Grenelle à deux pas de l’Assemblée Nationale.
Lors de ce rendez-vous, le ministre prit soin de recevoir le Maire de Nantes et moi-même en tête à tête dans son bureau. Il était rare en effet qu’un opposant notoire vienne solliciter une intervention ministérielle.
C’est donc un grand commis de l’Etat, véritable caricature du haut fonctionnaire, polytechnicien, ancien patron de la Cogema chasse gardée du gaullisme qui accepta de nous consacrer une heure de son temps précieux.
Après lui avoir expliqué tous les avantages que les populations de Nantes, mais aussi de Saint Etienne, alors gérée par un Durafour proche de la majorité, auraient à gagner de l’implantation prévue en France de cette industriel américain, il nous écouta attentivement, manifestement affolé que l’on puisse aussi bien connaître le dossier et que nous ayons pu avoir un contact direct avec les américains.
Alors, on se souvint un peu tard qu’avant de présider la Cogéma, il avait été vice-président de la Régie Renault.
Il nous servit l’argumentation la plus stupide que nous pouvions attendre d’un tel personnage. Selon lui, l’arrivée d’une telle entreprise aurait définitivement coulé l’activité automobile nationale, nous allions devenir les véritables fossoyeurs de la Régie, de Peugeot et de Citroën.
Et nous pouvions compter sur lui pour en endosser la paternité.
Bref, comme de bien entendu, nous étions les représentants patentés d’une opposition qui par nature était «anti-française»…!!!
Impossible de le ramener à une plus saine vision de la réalité.
Inutile de lui rappeler que l’Europe se construisait et que si l’implantation n’était pas française, elle serait nécessairement européenne et que la circulation des biens et produits était en avance sur celle des hommes.
Inutile d’essayer de le convaincre puisque nous n’avions en face de nous, non pas un ministre mais une personne farouchement accrochée aux rentes de situation offertes aux ingénieurs des mines en mal de points de chute industriels dans leurs carrières.
En rendant public cette opportunité qui nous était refusée, après en avoir longuement débattu, nous aurions allumé la violence d’une population ouvrière que nous savions hors de maîtrise.
La mort dans l’âme, nous décidions de garder le secret.
Deux ans plus tard, l’Espagne avait rejoint l’Europe et Saragosse annonçait l’ouverture prochaine d’une usine Opel de GM….
Même en pensant aux problèmes actuels de GM, cette usine, qui a aujourd’hui 25 ans, a fabriqué plus de 9.300.000 véhicules dont plus de 8 millions de Corsa.
Merci et bravo Monsieur Giraud, plus nul tu meurs. D’ailleurs il est mort en 97.Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu