Contes de l'ordi sacré : Gudule au centre de la terre 14

Publié le 05 octobre 2009 par Porky

EPISODE 14 : Où Jo la Fine apprend à connaître son malheur (qui est d'avoir croisé la route du caribou fou) et où on retrouve enfin Gudule et le Servile Séide, égarés dans un endroit invraisemblable 

La pauvre Jo la Fine suait, soufflait et se hâtait comme elle le pouvait, mais son allure n'avait rien de celle d'un pur-sang lancé au grand galop. Il lui fallut un bon moment pour parvenir au carrefour où se dressait l'escabeau magique. Après l'avoir plié comme elle le pouvait et avoir failli le ramasser sur la figure en voulant le basculer, elle parvint quand même à l'allonger sur le sol et prit le chemin du retour, tirant comme une forcenée sur ce maudit objet que la providence, (et l'auteur), sadiques au-delà du raisonnable, avaient rendu affreusement lourd.

La replète et boulotte Jo la Fine avait perdu un certain nombre de kilos lorsqu'elle parvint enfin à rejoindre le caribou fou qui, de guerre lasse, avait fini par s'endormir. « Je suis là ! » cria Jo la Fine en le secouant de toutes ses petites forces. Mal lui en prit. Elle reçut en retour un coup de poing dans l'estomac qui la projeta contre le mur où elle manqua s'assommer. « Je déteste qu'on me secoue, vieille morue », dit le caribou fou en se frottant les yeux. « La façon dont tu me traites est une honte », protesta Jo la Fine qui se releva péniblement. Elle se frotta la tête au sommet de laquelle quelques bosses commençaient à apparaître. « Je suis ton ange gardien, ta protectrice, tu me dois le respect et tu dois aussi obéir à tous mes ordres. » « Commence d'abord par être à la hauteur de tes prétentions, rétorqua le caribou fou. Pour l'instant, tu ne t'es surpassée que dans le genre nullasse. Je ne sais pas ce qui me retient de te dégommer une bonne fois pour toutes. » « Si tu me touches encore, je demande à l'escabeau de te flanquer une volée dont tu te souviendras », menaça Jo la Fine et elle posa une main sur l'objet magique qui frémit quelque peu. Le caribou fou éclata de rire. « Ah oui ? dit-il, goguenard. Tu vas voir ce que j'en fais, de ton escabeau à la con ! Un joli feu de bois pour faire fondre ton saindoux ! » Et des flammes apparurent soudain au bout de ses pattes.

L'escabeau magique craqua de toutes ses fibres et, échappant à Jo la Fine, se mit à ramper dans le couloir afin d'échapper à un destin aussi tragique. « Tiens, il marche tout seul ! constata le caribou fou, étonné. Aïe, ouille, connerie, je me crame les doigts ! » et il secoua ses pattes de toutes ses forces afin d'éteindre les flammes. Jo la Fine ricana d'abord « tu ne sais même pas contrôler ta magie » puis passa sans transition à l'expression de la plus parfaite surprise : « J'ignorais que l'escabeau pouvait se déplacer sans aide, dit-elle. Mais c'est très bien ainsi, je n'aurais pas à m'exterminer le tempérament pour le traîner. »

L'escabeau magique n'avait point le don de la parole et c'était bien dommage, car il aurait pu expliquer à cette stupide petite femme qu'il ne se déplaçait tout seul que lorsqu'il était en danger. Le reste du temps, il fallait le porter. Aussi Jo la Fine fut-elle encore plus étonnée -et marrie- lorsque, ayant ordonné à son fidèle fétiche de revenir près d'elle, elle s'aperçut qu'il ne bougeait pas d'un iota et qu'il avait même pris cet air de parfaite idiotie que revêtent les objets qui ne servent strictement à rien.

Jo la Fine claqua des doigts. Une fois, deux fois, trois fois. En vain. Rien ne se passait, l'escabeau restait immobile et elle-même ne disparaissait nullement de cet abominable endroit qui était en train d'assister à la défaite de son art et à sa déconfiture. « Tu as tout détraqué avec ta manie de cogner n'importe quand, n'importe comment et sur n'importe qui ! s'exclama-t-elle. Mes claquements de doigt ne fonctionnent plus. » « Je me demande si quelque chose a un jour fonctionné dans ta petite tête, répliqua le caribou fou. Et ma réponse est non. Maintenant bouge la citrouille qui te sert de derrière, on ne va pas rester cent sept ans dans ce couloir. Puisque tu es censée être mon guide (n'importe quoi, auteur débile !), vas-y, guide-moi ! »

Jo la Fine n'était pas d'une intelligence fracassante mais chez elle, l'instinct de survie palliait avec bonheur certains vides de son cerveau. Elle renonça donc à répliquer qu'elle n'avait plus de pouvoirs et qu'en fait de guide, sans lesdits pouvoirs, elle ne valait plus grand-chose, et cela d'autant plus que l'escabeau semblait s'être mis en grève pour un temps indéterminé. « Très bien, fit-elle avec une hauteur de voix inversement proportionnelle à celle de sa taille. Suis-moi, je vais t'emmener là où tu pourras retrouver ceux que tu cherches. » Et elle ajouta en son for intérieur : « Pourvu que ma veine habituelle ne m'abandonne pas, elle ! »

Quelques centaines de mètres plus loin, le caribou fou s'arrêta quelques minutes, le temps d'ordonner à Jo la Fine de faire moins de bruit en traînant son escabeau car ses oreilles commençaient à saturer. « Evite aussi de gémir, de souffler et faire « han » toutes les trente secondes, ajouta-t-il. Ca m'agace et quand je suis agacé, j'ai tendance à faire n'importe quoi. » Jo la Fine, exaspérée, claqua une fois encore des doigts. Bide total. De rage, elle donna un coup de pied à l'escabeau magique et manqua se casser la cheville. « Décidément, se dit-elle, je ne suis pas dans un bon jour. Faudra que je demande à l'autre tache de revoir son scénario. »

Un certain temps très indéterminé plus tard, le caribou fou, en pleine forme, et Jo la Fine, effondrée sur les genoux et ayant encore maigri de quelques kilos, entrèrent dans une immense caverne qui ressemblait à une plage de la Méditerranée, dans la mesure où une immense étendue d'eau s'étalait sur leur droite, bordée par une grève de sable plus ou moins fin. « Tiens, la mer, fit le caribou fou, un peu surpris. C'est assez inattendu ici. » « Mais non, animal ignorant, répliqua Jo la Fine, expirante. C'est la mer intérieure, celle du centre de la terre. C'est là qu'on vient en villégiature quand les visiteurs de ton acabit nous en laissent le temps et la possibilité. » Elle poussa ce qui ressemblait à un dernier soupir et s'effondra sur le sable, abandonnant l'escabeau. « Dis, tu ne vas pas clamser au moment le plus palpitant ! » s'exclama le caribou fou en la bourrant de coups de pied. Comme par magie, Jo la Fine se redressa immédiatement. « Et on fait comment, pour passer ? reprit le caribou fou. La caverne ne semble pas avoir d'autre sortie. » « On ne passe pas, fit l'ange gardien. On attend seulement que quelque chose se passe. »

Cette réponse ne plut qu'à moitié au caribou fou et Jo la Fine aurait certainement subi sa vindicte si l'animal maudit n'avait aperçu, gisant au bord de l'eau, un tas disgracieux qu'il reconnut aussitôt. « Nom d'un chien ! Les voilà enfin ! Je reconnais sans peine cette façon de gésir d'une façon aussi déplaisante ! » Et il s'approcha du tas. « Debout, Gudule la Nulle ! ordonna-t-il en piétinant quelque peu le magma (qui n'avait rien d'originel). Je sais que c'est toi ! »

Le tas remua un peu puis la sorcière du Château d'Onyx Noir et le Servile Séide se détachèrent l'un de l'autre et se redressèrent. Un immonde sourire tordit la bouche de Gudule : « Mon maître, enfin ! » et elle retomba à genoux, baisant les pattes du caribou fou.

(A suivre)

(Enfin, les forces maléfiques se sont rejointes ! Que vont-elles bien pouvoir inventer ? Sauront-elles être efficaces dans la mesure où 1) ce n'est pas du tout dans leur habitude de l'être ; 2) Jo la Fine a perdu tous ses pouvoirs ? Ne va-t-il pas se passer quelque chose qui va tout perturber ? Et la Marsupilania's band parviendra-t-elle à les retrouver au bord de cette bizarre mer intérieure ? (Merci, Jules.) Arrêt dans la narration...)