25.
Le vent souffle par grandes rafales. Le maquis ploie sous les à-coups imprévus du libecciu. Je ne vais sans doute pas pouvoir marcher très longtemps sur la route. Je n’ai pourtant pas envie de renoncer. Je vais trouver un abri où pelotonner ma solitude. Il me semble me souvenir qu’en prenant sur ma gauche le sentier un peu large qui conduit jusqu’aux ruches, je vais déboucher sous les grottes qui précèdent la Pierre plate. La Pierre à palabres.
Au détour d’une courbe, je découvre un mur impressionnant. Une muraille plutôt qu’un mur. Une muraille de Chine miniature, qui serpente, large, dans les profondeurs du maquis et se perd, je ne sais où. Une jetée, construite au milieu d’une mer de feuillages. Je m’avance sur les blocs de pierre aux rebords bien équarris. Je me fais funambule hasardant mes pas sur le fil moussu, en équilibre entre les deux pans d’un vallon bordé de chênes. Le vent mugit autour de moi qui secoue le silence par grandes saccades. J’emprunte des marches encastrées dans le mur. Je me hisse avec prudence. Je retrouve le sentier. Sombre, désossé par le passage récent des sangliers. Je dois me trouver aux alentours de la Pierre à palabres qui ancre son ossature rocheuse, trouée de tafoni, quelque part dans les piani, un peu plus loin. Il y a là une grotte. Ses courbes m’attirent. Je me hisse jusqu’à la petite esplanade et me blottis dans l’arrondi qui m’accueille. Je me laisse enivrer par l’odeur de terre humide, feuilles et champignons mélangés. Vais-je m’endormir, ballottée par le flux invisible du vent ? Vais-je m’engouffrer sans résistance dans le ventre de la baleine des airs ? Pour quelle résurrection ? Je me laisse happer par le monstre aérien, passe sans égratignure la rampe épineuse des fanons. Me voilà avalée crue. Engloutie par les flots qui secouent l’énorme caverne feuillue. Je circule à l’aveugle entre boyaux et intestins au milieu d’un plancton épineux. Je me cogne, pieds et jambes drossés contre les parois arides du géant. J’ai peur de ne pas pouvoir me réveiller. J’ai peur de ma solitude. Peur des ombres fourchues des arbres. Peur de ma peur. Je sens l’humidité qui me ronge les os, qui me pénètre jusqu’à la moelle. J’ai conscience pourtant que c’est l’inverse qui se produit. Que le froid gagne progressivement, qui part des os pour innerver la chair. Je me sens minuscule, soumise à l’épreuve du corps disloqué.
Je me secoue, décidée à m’extraire de la torpeur sauvage qui m’enserre. Je remue ciel et terre pour retrouver l’air libre. Je me réveille, dos et membres brisés. Combien de temps ai-je dormi ? Quelques minutes, à peine. La lumière semble inchangée. Il fait tout juste un peu plus froid. Je me sens pantin désarticulé. J’ébauche quelques mouvements pour dégourdir un dos ankylosé. Je m’ébroue et débarrasse ma peau des piquants qui s’y sont agrippés. Des croûtes de terre se détachent, qui s’étaient incrustées dans mes vêtements. Je reprends ma route en sens inverse. Les marches encastrées dans le mur. La muraille de Chine miniature. Le sentier aux ruches. La route. Le soleil a baissé et le vent est moins fort. Je suis heureuse de retrouver la pleine lumière. De renouer avec l’air libre. Je pense à tous les avalés de l’histoire. À tous ceux qui ont fait l’expérience de l’incarcération, depuis Jonas jusqu’à Jean-Paul Kaufman. Le Combat avec l’ange impose ses formes dans la chevelure d’un chêne. Le petit ruisseau galèje sous le pont. Jacob surgit vainqueur au gué de Penuel.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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