Magazine Journal intime
Génèse littéraire
Publié le 14 septembre 2009 par BritbritEn cette saison de rentrées (politique, des élèves,…), la plus courue de toutes est certainement la rentrée littéraire. Et moi, quand je vois tous ces jolis livres, parfaitement rangés sur les tables de ma librairie, avec leur bandeau rouge les sertissant comme des boîtes de chocolat et le nom de l’auteur écrit en tout gros, cela me donne une envie : devenir écrivain. Si Marc Lévy y est arrivé, je ne vois pas pourquoi je ferais chou blanc alors, qu’à cela ne tienne, je suis prête à me transformer en auteur à succès. En moins de deux, me voilà dans la peau du personnage.
10 heures 30 – Je me lève.
Pour commencer ma nouvelle vie d’écrivain, j’ai acheté un gros peignoir en velours rouge. Je trouve que ça fait vraiment écrivain comme tenue, et ce n’est pas Paul-Loup Sulitze qui, du temps de sa splendeur, se faisait prendre en photo dans match dans cet habit d’apparat, me dira le contraire.
Après m’être contemplée pendant 20 minutes dans le miroir, je me dis que je pourrais moi aussi poser pour Vogue avec mon peignoir rouge. Je m’entraîne à faire des poses avec le sèche-cheveux pour donner du mouvement à l'ensemble. Vivement mes futures séances photos avec David Lachapelle. Conclusion : c’est beau le vent dans les cheveux.
Le ravaleur de façade qui, comme par hasard passait justement devant ma fenêtre, se moque de moi. Je lui explique qu’il rigolera moins quand je serai devenu un écrivain célèbre et pour le punir je lui demande de m’épeler « imbécillité ». Evidemment, il oublie les deux « L » ; à mon tour de rigoler. Vexé, il crache sur mes vitres.
11 heures, l’heure du brunch. J’ai appris dans la rubrique « Un jour avec Anna Gavalda » de Elle que les grands auteurs prennent toujours des brunchs. C’est plus chic qu’un petit-déjeuner avec des ChocoPop. Et bien soit, je me plie au rituel de l’œuf-bacon-café. Je me sens en pleine fièvre créatrice ; je frissonne...
11 heures 10 – J’ai la tête dans la cuvette des toilettes à cause de l’œuf du brunch qui traînait dans mon frigo depuis un mois et demi. Grâce à cette douloureuse épreuve, je me demande si mon premier essai littéraire ne devrait pas être une ode au renvoi gastrique.
11h30 – Après d’actives recherches sur la régurgitation et trente pages blanches froissées, je décide d’abandonner le sujet. Il faut dire que les rimes sur le champ lexical du vomi ne m’amènent pas à grand-chose : « Œsophage, tu es mon naufrage / Gastro, c’est trop ». Pas de quoi me transformer en Baudelaire (rime avec glaire ?).
12h00 – Le facteur sonne à la porte et me fait des compliments sur mon magnifique peignoir. Je le remercie chaleureusement et lui explique que c’est mon nouveau costume d’écrivain. Il rigole grassement et me demande si je fais dans la littérature érotique ( ?). Je le mets à la porte tout en remettant en place mon sein échappé. Allez Loulou, rentre au bercail !
12h30 – Je n’ai toujours pas de sujet. Tout comme Michel Houellebecq, je décide qu’il serait de bon ton d’entretenir une correspondance avec Bernard-Henry Lévi. Objectif : réussir à se faire inviter sur le plateau de Laurent Ruquier.
De : BritBrit Chérie
A : B-H L.
Objet : On s’écrit ?
Cher B-H,
(Etape 1 : le brosser dans le sens du poil)
Je me permets de t’écrire car je te trouve absolument fabuleux. J’admire tout chez toi : ton intelligence, ton sens de l’à-propos, ton humour super philosophique, ton regard pétillant et surtout ta formidable crinière. Prends-tu de l’Oenobiol spécial Cheveux de rêve ?
(Etape 2 : lui suggérer l’idée et le convaincre)
Voilà pourquoi, j’ai une incroyable proposition à te faire. On pourrait avoir par MSM un échange épistolaire où nous partagerions le fruit de nos réflexions sur le café Flore (« surfait ou à chier ? »), les soins capillaires (« pour ou contre l’après-shampooing ? ») et l’art d’entretenir ses chemises blanches (« Omino Blanco, attrape-nigaud ? »).
Ainsi, les ventes médiocres de ta correspondance avec Houellebecq - « Ennemis publics »… Vous vous preniez pour Bonnie & Clyde ou quoi ? - ne seront plus qu’un lointain souvenir ; surtout quand tu verras ton notre nom en tête de la liste des bestsellers du classement de l’Express.
(Etape 3 : l’argument qui vaut plus que tout et qui va lui faire dire oui et doublement oui)
Note qu’en plus, j’ai acheté le dernier album d’Arielle.
(Etape 4 : rester modeste et le rassurer sur mes intentions)
Ne me remercie pas pour cette formidable idée ; je prendrai un pourcentage supplémentaire sur les royalties.
Bisouilles chaleureuses,
BB Initials
12h40 –Un mail arrive dans ma boîte. Je suis tellement excitée que mes tempes battent la chamade.
De : Bernard-Henri Lévy
A : BritBrit Chérie
Objet : re : On s’écrit ?
Non.
Philosophiquement vôtre,
BHL
PS : Pour le blanc des chemises, pense à quelques gouttes de javel. Pas trop sinon ça jaunit.
13h00 – Retour à la case départ. Je me remets rapidement en cause et arrive à une conclusion sans appel : je n’ai pas de pseudo de la "Win". Marcel Proust, Romain Gary, Marguerite Duras, Alain Fournier, les plus grands ont tous eu un nom d’emprunt qui leur a permis de faire exploser les ventes.
Après 2 heures actives de recherches, j’hésite entre Coco Galliano (en hommage à mes créateurs de mode préférés), Josette Andrée (en souvenir de mes grands-mères) et Duchesse Biscuit (en mémoire de mes chats morts). C’est vraiment un dur métier quand même… D'ailleurs je me sens toute chose.
15 heures – Fatiguée de tant d’efforts intellectuels, je décide de me revigorer en avalant quelques victuailles. Selon l’exemple d’Amélie Nothomb, je trouve dans mon frigo quelques fruits pourris qui sont soit-disant très bon pour gagner en créativité.
15h20 – J’ai de nouveau la tête dans les toilettes. Face au bloc Canard WC, j’ai trouvé THE sujet, inexploité jusqu’alors, qui fera de mon premier roman une anthologie. En gros, cela parlerait d’un canard qui aime nager dans un lac senteur lavande, mais qui reçoit plein de vagues sur la tête quand il veut chopper les petits poissons marron qui le narguent depuis le fond.
L’émotion d’avoir enfin trouvé cette idée géniale me fait tourner de l’œil…
18h30 – Je me retrouve allongée sur mon lit, dans un état semi vaseux. Dans la chambre, le docteur et ma mère avec un masque devant la bouche. « C’est la grippe A…» lui dit-il, l’air inquiet.
Il ne m’en fallait pas plus pour donner une chute de poids à mon futur roman : le canard se fait bouffer par un cochon mexicain. Et comme toute histoire à une fin - belle de préférence, le porc se fait abattre à coup de Tamiflu par une armée de Roselyne Bachelot masquées. Véronique Courjault en a profité pour mettre quelques côtes au congélo.
C’est beau la créativité. Je suis un génie des lettres. Sûr !
Je me rendors sereine, mon avenir est assuré.